Nous livrons ici à nos lecteurs l'intégralité de la communication de l'économiste Rachid Sekak, parmi les interventions les plus saillantes de la quatrième session du Forum d'Alger. Traiter de la crise financière actuelle est un sujet complexe qui doit être abordé avec beaucoup d'humilité. Nous devons reconnaître que de nombreuses inconnues subsistent. C'est pour cela que je souhaite éviter l'enlisement dans les jeux de vocabulaires techniques qui émaillent souvent le descriptif événementiel de la crise et essayer de revenir aux questions fondamentales. J'organiserai donc ma présentation en deux parties : dans une première partie, je m'interrogerai sur l'origine de la crise et sur l'efficacité des mesures conjoncturelles mise en œuvre pour la juguler tandis que la seconde partie sera centralisée sur les conséquences de cette crise sur notre pays. PREMIÈRE PARTIE En 2008, la Gouvernance mondiale après “un peu de retard au démarrage” a fonctionné avec beaucoup de pragmatisme pour mettre en œuvre des solutions conjoncturelles à la crise. Une situation de panique était perceptible mais la catastrophe a été évitée. De nombreux tabous sont tombés, tout comme certains principes du libéralisme ambiant depuis plus de 30 ans, et le mot régulation n'était plus un “gros mot”. Nous devons néanmoins ne pas oublier que les mesures d'ordre conjoncturel ne règlent pas les questions d'ordre structurel. Elles permettent au mieux de gagner du temps et d'atténuer les coÛts sociaux adossés aux réformes de structure. Pas étonnant que la crise soit de retour sous une autre forme durant l'été 2011. On ne sait toujours pas d'où venait la crise. Elle apparaissait essentiellement comme une crise du surendettement de la sphère privée (ménages et banques). Le marché des “subprimes” (crédits hypothécaires de qualité inférieure) apparaissait comme le détonateur de la crise mais en était-il la cause ou le symptôme ? Un gros travail reste à mener pour les économistes : décortiquer la crise pour en comprendre les rouages et la “vraie genèse”. En effet, de nombreux économistes et banquiers relevaient à cette époque (et continuent de relever) que le problème n'était pas aussi simple, qu'il était certainement beaucoup plus profond et avec des causes de nature plus structurelle. Nombreux furent ceux, et je suis de ceux- là, qui pensaient qu'on se focalisait certainement trop sur la sphère financière. Objectivement, la sur-domination de la sphère financière ne permet pas de comprendre les phénomènes actuels. Une recentralisation de la pensée économique sur la sphère réelle semble indispensable pour obtenir une explication cohérente de l'apparition des crises : n'est-il pas logique de d'abord comprendre les causes du problème avant de mettre en œuvre les remèdes ? On observe des déséquilibres financiers importants entre les trois types d'économie réelle du monde actuel : Etats-Unis et Europe : gros consommateurs Chine : manufacturiers Moyen-Orient : pourvoyeurs de ressources naturelles Dans le cadre d'une telle typologie et avec une économie et une industrie bancaire mondialisées, on peut de facto se poser deux questions importantes : N'y a t il pas danger à maintenir des déséquilibres financiers aussi importants que ceux observés au cours des dernières décennies ? Trop de pays n'ont-ils pas maintenu leur niveau de vie par un recours aux dettes privées et publiques ? Une large part du monde ne vit-elle pas à crédit depuis plus de 20 ans ? Est-il encore possible de faire fonctionner la machine mondiale avec la plus grande puissance économique vivant à crédit ? Pour conclure cette première partie, nous ne savons pas grand chose sur cette crise ! Et nous pouvons nous interroger sur l'efficacité à long terme des mesures conjoncturelles prises ces dernières années. SECONDE PARTIE Comment regarder l'avenir pour nous, Algériens ? Je dois d'abord relever que trois décisions courageuses prises par le passé ont constitué jusqu'à aujourd'hui une auto-assurance (un rempart) comme l'instabilité macroéconomique et les chocs exogènes : l Le refus et la résistance exprimés au FMI dans les années 1990 quant à la convertibilité du compte de capital l Le remboursement par anticipation de la dette extérieure l L'accumulation et la gestion prudente d'un montant important de réserves de change. Contrairement à certains débats stériles de ces derniers mois, nos gestionnaires méritent un hommage appuyé …pour leur sagesse et leur efficacité. Dans la tourmente actuelle, notre pays n'a pas perdu d'argent et cela mérite d'être signalé. Mais la crise financière de 2008 et l'effondrement brutal du prix des hydrocarbures qui en a découlé, est venu rappeler en 2009 les fragilités structurelles de notre économie et l'urgence de travailler à la construction “d'une vraie économie”, à réfléchir sur “l'après-pétrole” et sur la gouvernance économique et administrative du pays. La gestion de la crise de 2008 par les pays occidentaux a nécessité des montants abyssaux et a été financée à crédit. Pour débarrasser le secteur public privé de ces mauvaises dettes, notamment certaines banques, on a endetté le secteur public. N'a t- on pas déplacé le problème ? Est- ce une solution viable à long terme ? Durant l'été 2011, un nouvel épisode s'ouvre : la crise de la dette souveraine succède ouvertement à la crise des “subprimes” dont elle est, en partie, la conséquence, le coût du sauvetage des banques ayant, sans aucun doute, impacté les finances publiques. Le monde est au “pied du mur”. Il ne pourra pas faire l'économie de réformes structurelles douloureuses pour relancer une croissance autonome (de la dépense publique) et réduire les déficits budgétaires. Mais cela est certainement plus facile “à dire qu'à faire” et cela pour plusieurs raisons : Les marges de manœuvre des pays occidentaux en matière de politique économique sont étroites aussi bien au niveau monétaire que budgétaire. Les dirigeants politiques du monde occidental sont à présent dans un vrai bourbier, comme l'affirme Joseph Stieglitz. Mais le monde va évoluer car il doit évoluer … Il s'agira très probablement, comme le relève Nouriel Roubini de reconstruire des nouveaux équilibres : l entre Capital et travail au niveau de la redistribution des revenus, l entre marché et intervention publique. L'austérité plombe la croissance et toute baisse des déficits budgétaires ne pourra, à court terme, provenir que d'une pression fiscale supplémentaire ou d'une baisse des dépenses. Il ne sera pas aisé de se désendetter quand il n'y pas de croissance. Le monde entier va souffrir et notre pays sera touché. Par le passé, les situations de crise comme celle que nous connaissons actuellement ont été souvent résolues de deux manières : la guerre ou l'inflation … Nous devons aussi méditer sur l'histoire… La crise de 2008 a été un accélérateur de l'histoire. Elle a assez profondément changé le monde. En effet, on observe une transformation des relations internationales caractérisée par une accélération du réalignement des nations sur la scène mondiale. La crise a consacré le G20 qui a pris du pouvoir au G8. La montée en puissance du Brésil, de l'Inde et de la Chine laissait et laisse planer la possibilité d'une profonde réforme des institutions Internationales ? D'une réforme du système monétaire international, au-delà d'une retouche marginale des quotes-parts au sein du Fonds monétaire international ? Le centre de gravité du monde a bougé de l'Ouest à l'Est. “Go East !” s'est exclamé en 2009 Michael Geoghegan, ancien CEO du groupe HSBC, ajoutant qu'on observait aussi un rééquilibre au niveau Sud/ Nord. À titre d'illustration, on peut relever que le premier fournisseur du Brésil n'est plus les USA mais la Chine. Le “slogan politique” des années 1970 relatif au commerce Sud-Sud, ardemment défendu à l'époque par notre diplomatie, est devenu une vraie réalité économique. La montée en puissance de la Chine est sans conteste. Se pose donc la question de sa cohabitation avec les Etats-Unis : sera-t-elle “hard ou soft” notamment en ce qui concerne une éventuelle remise en compte de la domination du dollar sur l'économie mondiale et le financement de la dette américaine ? Les deux géants de l'économie mondiale sont pour l'instant “des otages réciproques” …mais pour combien de temps ? Comment tirer avantage de cette réorganisation de l'économie mondiale ? Comment insérer notre pays dans cette nouvelle dynamique en scellant de nouvelles alliances pour contourner cet encerclement souvent ressenti ? Plus que jamais notre pays à besoin d'une vision !... Plus que jamais, nous devons relancer la réflexion et la prospective. R. S.