Après les manifestations, appelant au boycott, dimanche, les Marocains sont appelés à se rendre aux urnes ce vendredi pour désigner leurs députés. L'appel au boycott du mouvement contestataire du 20-Février, du mouvement islamiste El-Aâdl wa el-ihsane et de plusieurs partis de gauche (PADS, PSU, Voie Démocratique) est pris, semble-t-il au sérieux. La désaffection de l'électorat marocain aux précédentes législatives de 2007 et lors des municipales de 2009 hante encore tous les esprits. Aussi, la participation ou non des électeurs marocains au scrutin législatif sera suivie avec attention et aura valeur de test pour la suite des réformes politiques annoncées en grande pompe par le roi Mohammed VI. Ces réformes sont d'ores et déjà jugées insuffisantes aux yeux des boycotteurs et autres abstentionnistes. D'où le rejet des élections par des protestataires qui ont, dans le cas d'espèce, la partie facile. Un taux d'abstention important leur permettrait de revendiquer, pour leur part, une sorte de légitimité par défaut. En cette veille d'élections, l'échiquier politique marocain reste assez dispersé, avec plus de 1 500 listes de candidats. Les résultats de l'élection seront probablement très serrés. Le jeu des coalitions risque d'être sans fin. Trois pôles semblent néanmoins sortir du lot : deux coalitions, le G8 et la Koutla qui font face au Parti de la justice et du développement (PJD), un parti islamiste donné favori. La Koutla est une coalition électorale au Maroc qui remonte au début des années 1970, lorsque l'UNFP et l'Istiqlal ont décidé de présenter un front d'opposition à la Monarchie marocaine. Elle compte deux partis historiques d'opposition, le Parti de l'istiqlal et l'Union socialiste des forces populaires. Elle a intégré, depuis 1998, les rangs de la coalition gouvernementale, mais s'est vue concurrencée, fin 2008, par un nouveau parti fondé par des proches du roi Mohammed VI, le Parti authenticité et modernité (PAM) de Fouad Al-Himma. Une formation politique qui fait partie du G8, l'autre coalition dénommée Alliance pour la démocratie, emmenée par Salah-Eddine Mezouar, président du Rassemblement national des indépendants (RNI). Pour sa part, le PJD affiche la barre très haut et ne cache pas ses appétits de pouvoir. Son numéro 2, Lahcène Daoudi, table sur 70 à 80 sièges sur les 395 que comptera la prochaine chambre. Il se montre même un tantinet menaçant lorsqu'il évoque une éventuelle fraude électorale qui viendrait à priver son parti du score attendu. Quelque 4 000 observateurs indépendants, marocains et étrangers, veilleront, quant à eux, sur le bon déroulement du scrutin. “Le roi espérait, à travers ces élections, mettre en place des institutions plus modernes, plus jeunes, avec un parlement et un gouvernement dotés de plus de pouvoirs. Mais ce sont toujours les mêmes têtes. Où est le changement ?” s'exclame Nabil, un musicien. D'après les chiffres officiels fournis par le ministère de l'Intérieur, 87,6% des candidats se présentent, pourtant, pour la première fois. Ce qui fait dire à cet abstentionniste invétéré que “l'opportunisme n'a pas d'âge. Il se transmet de génération en génération.” Une faible participation devrait être interprétée, d'après lui, comme un désaveu, non à l'égard du roi, mais plutôt de la classe politique tenue par la majorité des Marocains dans la plus grande suspicion. Si un gouvernement islamiste issu des urnes au Maroc n'est pas un scénario à exclure, il faut relever que malgré les scandales qui égrènent la vie politique marocaine (souvent le résultat de luttes d'appareils), le souverain chérifien reste, lui, assez épargné. Mieux, Mohammed VI est toujours populaire dans de larges couches de la population. Et si le peuple est autant attaché à la personne du roi, la raison en est très simple : c'est parce que la royauté représente au Maroc le socle de la nation, un mythe fondateur pour le pays. C'est pourquoi, semble-t-il, la Constitution a tout prévu. Quoi qu'il arrive, le roi reste maître à bord. Mohamed-Chérif Lachichi