Nul n'est en mesure de deviner la forme finale des révolutions arabes. L'Europe ne doit, toutefois, pas commettre l'erreur de tourner le dos aux islamistes qui prendraient éventuellement le pouvoir dans ces pays par la voie des urnes, comme elle l'a fait pour le Hamas en Palestine. C'est là la conviction d'eurodéputés qui ont reconnu que l'Europe a été longtemps complice des dictateurs déchus et continue à appliquer la politique de deux poids, deux mesures. “À la même période de l'année dernière, Ben Ali, Moubarak et Kadhafi semblaient régner sur la région pour des décennies encore. Nous avons assisté à un miracle…” Jean-Pierre Vandersteen, directeur général à la communication à la Commission européenne, à l'entame du séminaire sur les relations euroméditerranéennes, dans le cadre de l'éveil du Printemps arabe, qui s'est déroulé les 29 et 30 novembre dernier au siège du Parlement européen à Bruxelles. Tout au long de la rencontre, les eurodéputés exprimeront aussi l'effet surprise produit par les révolutions arabes. “Certains d'entre nous avaient du mal à comprendre ce qui se passait dans le monde arabe. Ils n'assimilaient pas l'idée qu'un processus démocratique était en marche. Pour les dirigeants italiens, la seule préoccupation est le nombre d'immigrés qui allaient arriver sur notre petite île”, a rapporté Gianni Pittela, vice-président du Parlement européen (Italie). “Nos pays ont fermé les yeux sur les dictatures en prenant en compte la stabilité de la région. C'était une erreur”, a-t-il poursuivi. Son compatriote et collègue au groupe des eurodéputés socio-démocrates, Pier Antonio Panzeri, a estimé que “l'Europe devra tirer les leçons de l'histoire. Nous ne pouvons plus continuer de la même manière”. Franziska Brantner, élue européenne sous les couleurs des Verts, a semblé, à ce propos, sceptique. “Est-ce que les dirigeants de nos pays européens, qui ont coopéré par le passé avec les dictateurs, soutiendraient réellement ceux qui manifestent pour la démocratie ?” s'est-elle interrogée, mettant aussi en avant la promptitude à brandir le spectre de l'affluence massive des réfugiés arabes en Europe, aux premières semaines de la révolte des Tunisiens, des Egyptiens et des Libyens. “Nous nous sommes rendu compte que le flux des immigrés n'était pas si important et que l'information était manipulée par Kadhafi lui-même”, a-t-elle ajouté. “On ne peut donner aucune garantie sur la position de l'Union européenne face aux régimes arabes. Il y a eu une grave complicité et même une interdiction de parler ici de certains sujets pendant des mois, comme il est toujours difficile d'obtenir une majorité qui votera une résolution en faveur de la Palestine”, a témoigné Patrick le Hyaric, membre de la délégation européenne de l'UPM (Union pour la Méditerranée). Il a indiqué qu'un rapport avait établi selon lequel de nombreux journalistes européens passaient des séjours en Tunisie, en égypte et en Libye aux frais des dictateurs chassés du pouvoir afin de publier des articles à la gloire de leur régime. Pour les eurodéputés ayant participé à la rencontre sur le Printemps arabe, la politique de l'Union européenne manque de visibilité. Pis, elle fait dans le deux poids, deux mesures. Pour Pier Antonio Panzeri, il est juste de s'interroger sur l'empressement de l'Europe à intervenir militairement en Libye et son attitude de wait and see par rapport à la situation en Syrie. “La situation géopolitique de ce pays dans le conflit du Moyen-Orient pose problème. Pourtant, la décision de la Turquie d'instaurer une zone d'exclusion aérienne et les mesures prises par la Ligue arabe doivent nous inspirer”, a-t-il estimé. L'émergence, à l'issue de scrutins libres, des partis islamistes en Tunisie, en égypte, au Maroc et en Libye a pris naturellement sa part du débat engagé au Parlement européen sur les révolutions arabes. “Nul n'est en mesure, aujourd'hui, de deviner la forme finale que prendront ces révolutions. La possibilité qu'elles ouvrent la porte à l'islamisme est envisagée par l'Europe”, a déclaré Pier Antonio Panzeri. “Au moment où nous avons appelé à des élections libres en Palestine, nous croyions que le Fatah allait les gagner. Nous avons commis une erreur magistrale en tournant le dos au Hamas. Nous ne devons pas faire la même chose pour les autres pays. Mais il n'est pas question de cautionner non plus les régimes islamistes s'ils ne respectent pas les aspirations des révolutions”, a-t-il complété. S. H.