Dans l'agriculture, il faut semer pour récolter, or, le vrai enjeu de la sécurité alimentaire réside entre autres facteurs importants dans la qualité de la semence et sa disponibilité. En Algérie, la semence est importée chaque année. Cette dépendance vis-à-vis de l'étranger en matière de semences —censées être la “matière première” du processus de production — a coûté au pays maints désagréments allant d'une simple maladie cryptogamique frappant une partie du produit importé jusqu'au renchérissement inattendu des semences et des graines. Tout le monde s'accorde à dire que la semence locale est boudée. On lui préfère celle importée. Un choix justifié par les faibles rendements et les pertes occasionnées par la mauvaise qualité des semences produites localement. Avec la semence importée, les déboires de l'agriculteur sont loin d'être terminés. Quand le produit local est inexistant, laissant le champ libre à l'importation, les lobbies de l'importation font et défont le marché, ce qui inévitablement crée la pénurie. C'est là le constat dressé par un ingénieur de l'ex-Office national de l'approvisionnement en produits agricoles (Onapsa). L'office détenait, pour rappel, le monopole sur le marché algérien en matière d'importation et de distribution des intrants agricoles. Au cours des années 90, l'Onapsa arrivait à réaliser de bonnes performances dans la multiplication de la semence de pomme de terre, tout en encadrant l'achat et la mise sur le marché de produits phytosanitaires et des engrais. Or cet office a été liquidé hâtivement. Déjà vers le début des années 90, l'Onapsa arrivait à produire 120 000 t de semences de pomme de terre par an sélectionnées à partir des variétés E élite. L'office offrait de payer aux producteurs multiplicateurs auxquels il fournissait selon les habitudes et traditions agricoles et culinaires régionales, 20 DA le kilogramme de semences de pomme de terre sélectionnées après contrôle par ses techniciens et ingénieurs sur le champ de production, tout tubercule suspect étant éliminé afin d'éviter au maximum les contaminations. La disparition de l'Onapsa a ouvert la voie à la spéculation de l'importation, précise notre interlocuteur, ajoutant que la situation a été aggravée par le fait que nos instituts techniques souffrent d'insuffisances. Les lobbies ont fait leur travail comme cela a été le cas avec le projet de Guellal à Sétif qui, selon la même source, a capoté à cause des lobbies. Selon lui, le projet disposait à la fois d'un investissement à la hauteur et d'un partenaire sérieux (les Canadiens). Mais en fin de compte, il a trébuché. Ce projet date d'une vingtaine d'années. Il risque de ne pas voir le jour de sitôt, si l'on considère les pressions exercées par les lobbies qui tiennent les rênes du commerce des produits agricoles. Le centre de biotechnologie de Guellal était destiné à couvrir les besoins nationaux et même ceux du Maghreb en cas de besoin. Encore un projet enterré à cause d'intérêts étroits menacés. “Même s'il faut beaucoup de techniques, nous avons les ingénieurs, nous avons les infrastructures, mais il nous manque la décision. Cette décision qui libère les initiatives et qui permet aux instituts de se débarrasser de cette gestion administrative archaïque.” Par ailleurs, notre source indique que “l'état subventionne mais nous ne savons pas où va l'argent, car il n' y a pas de suivi des autorités”. “Certains agriculteurs qui achètent de la semence subventionnée en plantent un quart, le reste est injecté sur le marché”, confie cet ingénieur de l'ex-Onapsa. Par ailleurs, selon un ingénieur de l'Institut technique des cultures maraîchères et industrielles (ITCMI) de Staouéli, rencontré dans le stand de l'institut au Salon Filaha qui s'est tenu du 21 au 24 novembre 2011, “les agriculteurs préfèrent utiliser les semences hybrides, donc importées, parce qu'elles ont un meilleur rendement”. L'institut qui développe essentiellement des semences de base voit ses produits boudés par les agriculteurs. à la question de savoir pourquoi l'institut ne développe pas les semences hybrides, notre interlocuteur nous précise que cela nécessite des moyens technologiques dont ne dispose pas l'institut, renvoyant ainsi la balle à la tutelle qui ne met pas les moyens pour cette opération qui, si elle venait à être réalisée, intéresserait les agriculteurs qui disposeraient localement du produit de qualité qui les intéresse. La représentante de l'Institut technique de l'arboriculture fruitière et de la vigne (ITAF) de Birtouta est plus critique par rapport aux agriculteurs qui, selon elle, ne devraient pas bouder la semence locale qui, pour certains produits, est de très bonne qualité. Pis, pour cet ingénieur agronome, l'introduction de certaines semences importées porte un coup à certains produits du terroir, telle l'olive, sur laquelle l'institut fait un travail colossal. Côté producteurs, le constat est quasiment le même. En plus de son rendement qui ne satisfait pas, la semence locale n'est pas disponible en quantités suffisantes. C'est là le verdict prononcé par le représentant du groupe Tahraoui, producteur de Biskra, et des animateurs du stand de Cevi-agro. Pour le groupe Tahraoui, la question est tranchée. “Nous nous approvisionnons exclusivement en semences d'importation”, nous explique son représentant, ajoutant que le risque de tomber sur des semences de moindre qualité existe, mais “nous comptons sur l'honnêteté de nos fournisseurs”. Chez Cevi-agro, on déplore l'indisponibilité de la semence locale. Le recours à la semence importée est donc une obligation. Néanmoins, la filiale de Cevital est en train de mettre en place son propre circuit de production de semences de pomme de terre qui n'attend que la mise en place de son laboratoire. Dès qu'il sera opérationnel, l'opération débutera. Les lobbies à l'œuvre La céréaliculture reste au jour d'aujourd'hui la seule culture où l'Algérie est arrivée à ne pas être dépendante de l'extérieur en termes de semences. Mais ce n'est pas pour autant que le problème est réglé. Certes, plusieurs variétés de céréales ont été introduites, et on assiste, aujourd'hui, à une production de semences par les multiplicateurs avec une bonne couverture des besoins en semences. Mais, selon des spécialistes, il reste la phase d'amélioration génétique de ces semences pour une bonne productivité céréalière. Cette amélioration génétique doit être faite avec toute la rigueur scientifique des chercheurs algériens, l'autosuffisance en semence est la condition fondamentale, mais à condition que la semence ait un patrimoine génétique de haute productivité céréalière en Algérie. En Algérie, peu de céréaliculteurs ont le niveau de maîtrise de la filière, et la mentalité est loin d'être celle de vrais professionnels céréaliers. La majorité suit les facteurs d'incitations publiques par les moyens financiers, voire le prix du quintal de blé à la récolte. Cette incitation sur l'espèce blé a une conséquence directe négative sur la production des autres espèces de céréales. Pour rectifier le tir en matière de qualité des semences en Algérie, le ministère de l'Agriculture a décidé d'encadrer les céréaliculteurs en les incitant notamment à utiliser les engrais et les semences certifiées pour améliorer leurs productions sur le plan de la quantité et de la qualité. Où va l'argent des subventions ? Dans la perspective du renforcement de sa sécurité alimentaire, l'Algérie prête une attention particulière à la production des semences, notamment celle de la pomme de terre. La filière a déjà traversé plusieurs crises liées entre autres à l'indisponibilité des semences. La filière dépend entièrement du marché international. C'est la raison pour laquelle la pomme de terre dans ses volets semence et consommation occupe aujourd'hui une place stratégique dans la nouvelle politique de renouveau agricole et rural initiée par le ministère de l'Agriculture et projetée dans la perspective de la mise en œuvre du programme national 2010-2014. Il faut dire que dans la production de la pomme de terre, l'un des intrants le plus cher est la semence. Très souvent cette semence utilisée par les producteurs algériens n'est pas une bonne semence sur le plan germinatif d'une part et d'autre part elle n'est pas calibrée soigneusement. En principe, la semence doit être calibrée pour donner le meilleur rendement avec le poids le plus faible possible. Donc, cet usage aléatoire de la semence augmente les coûts de production. L'objectif que s'est assigné le ministère de l'Agriculture et du Développement rural (MADR) d'atteindre un niveau de production de pomme de terre de 4 millions de tonnes à l'horizon 2014 est réalisable, mais à la condition que les multiplicateurs soient les agriculteurs versés dans la production de mini-tubercules (stade juvénile de tubercule), de plus en plus nombreux depuis la mise en place, en 2009, par le ministère d'une subvention des coûts de semences et plants, et qu'ils puissent s'approvisionner en quantité suffisante auprès des producteurs de semences pré-base. Il est clair que si aucun investissement n'est réalisé pour augmenter la production de semence, il faudra s'attendre à ce que l'offre s'éloigne encore plus de la demande. S. S.