“Hormis l'élection de Zeroual en 1995, seule à peu près correcte, et je ne suis pas laudateur de Zeroual, nous n'avons jamais eu d'élections honnêtes depuis 1962”. La sentence est à la mesure de l'homme de droit qu'il est. Sans appel. Invité hier de l'émission politique “Opinions et convictions” de la radio Chaîne III, Me Ali Haroun, ancien membre de la Fédération de France du FLN et ancien membre du Haut-Comité d'Etat (HCE), structure mise en place au lendemain de l'arrêt du processus électoral en 1991 pour présider aux destinées du pays, estime que si l'Algérie a acquis son indépendance, le citoyen, lui, n'a pas acquis ses droits de citoyen depuis 1962. “Depuis 1962, le peuple n'a jamais pu choisir librement les hommes appelés à diriger son destin”, dit-il. Et pour lui, tous les scores électoraux des différents scrutins qu'a connus le pays dont la dernière présidentielle sont “des scores staliniens”. Dès lors confier les lois de réformes annoncées par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, le 15 avril dernier, à une assemblée dont la représentativité “laisse à désirer” n'est pas une “bonne manière”. “Le Président, dans son dernier discours et dans son analyse, a dit que nous avions connu des élections à la Naegelen (du nom du ministre français complice de la fraude lors des élections de 1948), comment dès lors donner à une assemblée la faculté de voter ces lois ? Est-ce que c'est la bonne manière ? À mon avis, elle n'est pas qualifiée pour le faire”, assène-t-il. Un petit bémol, cependant, “on ne peut pas refaire le monde, on verra lors des prochaines élections si elles seront honnêtes. On verra dans la pratique”. Même la présence des observateurs étrangers ne peut pas constituer, selon lui, une garantie de la transparence et de la régularité du scrutin. “Je ne crois pas aux contrôleurs étrangers, ils ne peuvent pas être partout. La régularité des élections relève de la formation et des citoyens”, soutient-il. L'ancien ministre des Droits de l'Homme rappelle avoir soumis à l'instance de consultations sur les réformes dirigée par Bensalah, des propositions de “mesures adéquates” pour “arriver à des élections libres et transparentes”. Interrogé sur une éventuelle arrivée des islamistes au pouvoir, Ali Haroun a usé d'une rhétorique en vogue. “Est-ce que la vague verte va déferler sur nos côtes ou est-ce qu'elle restera verte, je ne suis pas divin. Je suis échaudé. Je n'ai pas été confronté à l'activité politique depuis l'Indépendance. Ce n'est qu'en 1991 qu'on m'a appelé et j'ai occupé le poste de ministre”. Cependant, il estime qu'“il ne faut pas paniquer”. “Je ne pense pas qu'il puisse y avoir une majorité salafiste qui fera de l'Algérie un pays à l'image du régime wahhabite. J'espère ne pas me tromper”. Cette digression lui offre l'occasion de rappeler l'épisode du début des années 1990 et d'applaudir la disposition contenue dans la nouvelle loi électorale, empêchant de l'exercice politique les personnes impliquées dans la tragédie nationale. “En 1991, la loi était mal faite. Ce sont ceux qui ont utilisé la religion qui nous ont menés à la situation que nous avons connue. C'est l'intolérance de ce parti (ex-FIS) qui nous a menés à cette situation. Il faut tirer la leçon”, estime-t-il. Partisan de l'inscription de certains principes de façon solennelle dans la Constitution (démocratie, liberté, égalité et droits de l'Homme) qui feront office de “garde-fous” contre d'éventuels dérapages, au lieu de recourir à une Assemblée constituante, Ali Haroun est favorable, pour les prochaines élections législatives, à la “proportionnelle intégrale”. Quel système de gouvernance, entre système parlementaire et présidentiel ? Il glisse quelques phrases pleines de non-dits. “Si l'Algérie avait aujourd'hui un despote éclairé, cela aurait été une bonne chose. Nous avons eu des despotes, mais éclairés ce n'est pas souvent le cas. Et je ne pense pas que le système parlementaire soit utile pour le pays”. À la question de savoir si les pays arabes ont tiré profit de l'expérience algérienne, l'ancien membre du HCE soutient que chaque pays doit avoir un minimum d'expérience, même s'il admet que la Tunisie et le Maroc aient pu tirer quelques leçons. Mais Ali Haroun, qui trouve que ce qui se passe dans les pays arabes “est une évolution normale”, refuse de s'inscrire parmi ceux qui brandissent la main de l'étranger pour justifier les bouleversements de la région. “Dire que c'est manipulé de l'étranger, je ne crois pas, mais dire qu'ils essayent d'en tirer profit, c'est possible. Il faut examiner la question objectivement (…) ce qui nous interpelle, c'est d'être vigilant, si changement il y a, pour éviter qu'il y ait une intervention étrangère”. Sur les appels à des “excuses de la France et à sa repentance”, Ali Haroun suggère qu'il y a de la démagogie autour de la question. “Je pense que le gouvernement français peut reconnaître ses erreurs passées, comme l'a fait l'Italie pour la Libye ou encore l'Allemagne pour les juifs. Je pense que nous sommes dans une aire géostratégique commune et nous avons le plus grand intérêt à coordonner nos activités. Nous avons gagné la guerre en 1962, il n'y a pas de complexe à se faire. Nous n'avons pas besoin d'être consolés. Mais je suis contre ceux qui parlent de bienfaits du colonialisme”. Enfin, à une question sur son court passage à la tête du ministère des Droits de l'Homme, Ali Haroun soutient qu'“il n'est pas évident de rattraper en 7 mois, le retard de 35 ans”. Karim Kebir