La vie du seul ministère algérien des Droits de l'homme, créé depuis l'indépendance du pays en 1962, fut courte. A peine six mois. Ce ministère a été dirigé par l'avocat Ali Haroun pendant la période trouble de juin à décembre 1991. Ali Haroun devait rejoindre le Haut comité d'Etat (HCE) sous la conduite de Mohamed Boudiaf, puis d'Ali Kafi, de 1992 à 1994, date de désignation du général Liamine Zeroual, président de l'Etat, puis président de la République après les élections de 1995. Sur cette période d'instabilité, Ali Haroun, responsable de la Fédération de France du FLN et membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) à partir 1958, et député de l'Assemblée nationale constituante, entre 1962 et 1963, vient de publier aux éditions Casbah à Alger L'éclaircie, promotion des droits de l'homme et inquiétude. Ali Haroun est auteur d'autres ouvrages comme La 7e wilaya (paru en 1985) et L'été de la discorde (publié en 2000). -Eclaircie est le titre d'un essai. Vous évoquez la période durant laquelle vous étiez ministre en charge des droits humains. Pourquoi ce titre ? Je n'ai pas choisi ce titre sans raison. En 1991, entre mai et juin, nous avons vécu des semaines dramatiques. A l'époque, les places publiques étaient occupées par les militants du FIS. Le gouvernement de Mouloud Hamrouche avait été contraint de démissionner. Le président Chadli Bendjedid avait pris des décisions graves pour libérer les places publiques (après l'instauration de l'état de siège, le 4 juin 1991, ndlr). Sid Ahmed Ghozali avait été amené à constituer un nouveau gouvernement. Une fois ce gouvernement composé, le président Chadli devait annoncer le report des élections. La date des législatives avait été alors fixée pour décembre 1991. A partir de juin de la même année, nous avons eu un peu de répit. Et nous nous attendions qu'après les élections de décembre, l'Algérie allait connaître une certaine quiétude, une certaine stabilité. Après le scrutin du 26 décembre 1991, l'Algérie s'était trouvée à la veille d'une afghanisation. Donc, entre ce premier et deuxième sombre nuage, il y a eu l'éclaircie. Ces six mois (entre juin et décembre 1991, ndlr) étaient pour nous un coin de ciel bleu entre deux périodes perturbées. Une éclaircie, qui est un rayon de soleil entre deux nuages, n'est jamais définitive. Après, la décennie rouge devait commencer. J'espère évoquer cette période dans un autre ouvrage. -L'éclaircie était donc limitée dans le temps autant que l'essai… Oui, je démarre des événements de juin 1991 et arrête mon livre à l'arrivée de Mohamed Boudiaf avec la création du Haut comité d'Etat (HCE), le 14 janvier 1992. Mon deuxième ouvrage devrait traiter de l'arrivée de Mohamed Boudiaf, des six mois durant lesquels il allait diriger le pays, de son assassinat ainsi que de la fin du HCE. Je voudrais évoquer aussi la période suivante, allant de la mort de Boudiaf jusqu'à la nomination de Liamine Zeroual, président de l'Etat (…) Je ne suis pas écrivain, je ne suis ni poète ni historien. Il se trouve que le hasard m'a placé, à une certaine période de ma vie, dans certains carrefours marquant de notre histoire. Alors, j'estime que ce que je sais je dois le mettre sur papier, pour le laisser comme matériau aux historiens qui, eux, vont l'analyser, le passer au crible de la critique historique, le comparer à ce que disent d'autres témoins pour, enfin, écrire une histoire aussi vraie que possible et la léguer à la postérité. -Est-ce qu'on a tout dit sur ce que vous appelez «la décennie rouge» ? On n'a jamais tout dit. Je ne connais pas tout sur cette décennie. Vous, journalistes, vous la connaissez peut-être mieux que moi ! Je peux, cela dit, vous parler de la période où j'étais au HCE. Sur ces deux années, je peux dire des choses que tout le monde ne connaît pas. Mais, pour tout ce qui est postérieur à la fin de mission du HCE, je n'en sais pas plus que vous… -Le respect des droits humains a-t-il évolué depuis l'époque du début des années 1990 ? Sur ce point, je crois que le président de la Commission nationale consultative de la promotion des droits de l'homme (Me Farouk Ksentini, ndlr) est aujourd'hui plus qualifié que moi pour en parler. -Et vous en tant qu'avocat, que dites-vous à propos de cette question ? Même si les droits de l'homme ont évolué, nous sommes encore loin de nos espérances. Ils n'ont pas évolué comme le peuple algérien était en droit de l'espérer avec toutes les souffrances endurées au cours de la décennie rouge. -Un train de réformes dites politiques a été lancé par le président Bouteflika avec, entre autres, la révision des lois sur les partis, le régime électoral, l'information et les associations. Des réformes ? Dans ma réponse adressée à la Commission Abdelkader Bensalah (installée en juin 2011 pour collecter les avis de la classe politique et la société civile sur les réformes annoncées par le président Bouteflika, ndlr), j'ai expliqué pourquoi je ne participais pas aux consultations, car je ne croyais pas à la méthode utilisée. J'ai évoqué les critiques à faire sur la gestion faite du pays depuis 1962, et j'ai proposé les mesures à prendre dans le cadre des réformes annoncées par le chef de l'Etat. A partir du moment où le président de la République a déclaré que les élections n'étaient pas sincères, le Parlement n'est donc plus représentatif. Il faut dès lors le dissoudre. J'ai appelé à ouvrir les champs politique et médiatique pour permettre l'information de l'opinion publique et la constitution de partis politiques réellement représentatifs. Dans le cas de dissolution du Parlement, et par voie d'ordonnance, le Président édicte les mesures nécessaires pour assurer un vote sincère, régulier, crédible et honnête… Depuis 1962, nous avons toujours enregistré des scores staliniens de 99% dans les différents scrutins. Il faut remédier à tout cela. Ce qui a été la cause des situations connues par l'Algérie, à mon avis, est l'utilisation et l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Il faudrait proclamer clairement que toute utilisation de la religion à cette fin est strictement interdite. Cela doit figurer clairement non seulement dans la loi mais dans la future Constitution.