Le premier gouvernement de Sid-Ahmed Ghozali comportait un minist�re charg� des droits de l�Homme. Ce d�partement minist�riel, qui a eu une existence tr�s courte, tout juste six mois, �tait dirig� par Me Ali Haroun. Cette exp�rience, unique dans les annales de la R�publique alg�rienne, s�est d�roul�e dans un contexte exceptionnel marqu� par une forte instabilit� politique. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) -Printemps 1991. Le Front islamique du salut, qui contr�le depuis une ann�e les Assembl�es locales, esp�re rafler la majorit� des si�ges � l��lection l�gislative pr�vue pour la fin du mois de juin. Les dirigeants du parti extr�miste, trop press�s de prendre les r�nes du pays, multiplient les actes de d�fiance envers le pouvoir. Le 23 mai, le FIS appelle � une gr�ve illimit�e. Abassi Madani et Ali Benhadj sont arr�t�s le 30 juin. La situation politique est extr�mement tendue. Le pays est au bord de la guerre civile. Chadli Bendjedid prend la d�cision de reporter les �lections l�gislatives puis nomme Sid-Ahmed Ghozali en qualit� de chef du gouvernement � la place de Mouloud Hamrouche. Consultations Conscient de la situation � laquelle il est confront�, Ghozali s�entretient avec un certain nombre de personnalit�s pour former son gouvernement. Ali Haroun fait partie des personnes approch�es. �Avant m�me sa nomination, Ghozali avait entam� une s�rie de consultations. Je pense que c�est la premi�re fois dans la vie politique du pays qu�un futur chef de gouvernement dispose d�une telle libert�. J�ai eu � le rencontrer � deux reprises en compagnie de feu Lakhdar Bentobal. La premi�re fois c��tait en qualit� de responsable de la F�d�ration de France du FLN et la deuxi�me fois en qualit� de secr�taire de la Conf�rence nationale des d�mocrates que pr�sidait Bentobal. Nous avons longuement d�battu de la crise qui s�vissait � l��poque. Je lui ai clairement expliqu� que je n�avais aucune opinion puisque, personnellement, depuis 1962, je ne croyais pas � la vie politique alg�rienne. Pour moi, l�Alg�rie faisait face � deux r�alit�s : la premi�re est que le pays est r�ellement ind�pendant, et que ses dirigeants doivent assumer pleinement leurs responsabilit�s. La seconde r�alit� est que le peuple alg�rien n�a jamais acquis pleinement ses droits. Tous ses droits�, explique Me Ali Haroun. Au bout du troisi�me entretien, Sid-Ahmed Ghozali finit par pr�senter � Ali Haroun l�id�e de la cr�ation d�un minist�re qui sera charg� exclusivement de la gestion et de la promotion des droits de l�Homme. Il propose de lui confier ce poste. �Je dois dire que je n�aurais pas accept� l�offre de Ghozali s�il m�avait propos� un autre d�partement, celui de l�int�rieur par exemple. Quand on devient ministre de la R�publique, on se doit d�accepter le passif du d�partement que l�on est appel� � g�rer. Dans ce cas pr�cis, j��tais plus � l�aise�, avoue-t-il. Mais le lancement d�un tel minist�re s�av�re tr�s difficile. �Il n�y avait rien, tout �tait � faire. J��tais seul. Le minist�re des Droits de l�homme tenait dans mon attach�-case. Puis une �quipe a �t� form�e. Noureddine Toualbi, alors recteur de l�Universit� d�Alger, a accept� le poste de secr�taire g�n�ral du minist�re. Ensuite, il a fallu trouver un si�ge, car nous �tions SDF. Au bout de quelques semaines, nous avions r�ussi � nous faire h�berger dans un local situ� dans l�enceinte du si�ge de la Direction g�n�rale de la Fonction publique. Nous avions obtenu trois ou quatre pi�ces�. Contradictions Selon Ali Haroun, les probl�mes de moyens et d�organisation �taient secondaires face � la t�che qui l�attendait, lui et ses collaborateurs. La mission du d�partement des droits de l�Homme relevait de l�impossible dans un contexte marqu� par l�instauration de l��tat de si�ge. Cette l�gislation d�exception avait �t� proclam�e � partir du 5 juin 1991 par le pr�sident Chadli Bendjedid, soit au lendemain de la nomination du gouvernement Ghozali. L�article 2 du d�cret pr�sidentiel 91-196 portant proclamation de l��tat de si�ge pr�cise que celui-ci �vise � sauvegarder la stabilit� des institutions de l�Etat d�mocratique et r�publicain, la restauration de l�ordre public, ainsi que le fonctionnement normal des services publics, par toutes mesures l�gales et r�glementaires�. Des comit�s de sauvegarde publique sont cr��s dans toutes les wilayas. Ces structures administratives sont plac�es sous la responsabilit� des walis. Le 25 juin 1991 entre en vigueur le d�cret ex�cutif 91- 201 fixant les limites et conditions du placement dans un centre de s�ret�. �Nous �tions confront�s � une situation difficile � g�rer. Les dispositions prises dans ce cadre d�exception �taient r�pressives et limitatives en mati�re de libert�s individuelles et collectives. C��tait antinomique avec le concept universel des droits de l�Homme. Nous �tions face � des situations o� des citoyens se retrouvaient priv�s de libert� suite � une d�cision administrative arbitraire. Ces personnes n��taient pas jug�es et n�avaient donc aucun moyen de se d�fendre�, reconna�t Ali Haroun. D�ailleurs, le gouvernement de Sid-Ahmed Ghozali ne tarde pas � conna�tre sa premi�re v�ritable fracture. Le 20 juillet, Ali Benflis, alors ministre de la Justice, d�cide de d�missionner. Il refuse de cautionner le fait que des citoyens soient arr�t�s puis intern�s dans des structures de placement en dehors de tout cadre judiciaire. Benflis claque la porte du minist�re qu�il occupait depuis octobre 1988. Il sera remplac� par Hamdani Benkhelil. Protection� De son c�t�, le minist�re d�l�gu� aux Droits de l�homme tente de r�agir malgr� le peu de marge de man�uvre dont il dispose. �Pour �tre efficaces, nous sommes intervenus directement sur les textes d�application de l��tat de si�ge. Ainsi, nous avions impos� le principe que les d�cisions administratives soient l�objet de recours. Je peux vous assurer que des citoyens qui ont �t� plac�s dans des centres de s�ret� ont pu �tre lib�r�es gr�ce � ce syst�me de recours. Nous avons �galement impos� le fait que la dur�e de placement ne soit pas illimit�e. Elle �tait de 45 jours avec la possibilit�, pour l�administration, de ne la renouveler qu�une seule fois. L� aussi, je peux garantir que ce principe a �t� strictement respect�. Il y avait aussi le probl�me des violences. Des citoyens nous ont saisis pour nous interpeller. Apr�s enqu�tes, nous avons constat� que les cas de violence se sont produits lors des interpellations. Aucun acte de violence ou de torture ne s�est produit � l�int�rieur des camps de placement�, note Ali Haroun. � et lobbying Il fallait aussi g�rer la situation sur le plan international. L�instauration de l��tat de si�ge et la cr�ation des centres de s�ret� �taient des mesures vivement d�nonc�es � l��tranger. �Certaines personnes avaient alert� les organisations internationales de protection des droits de l�Homme en disant que le gouvernement alg�rien avait cr�� des camps de concentration. Ces individus, qui se reconna�tront, n�ont pas h�sit� � comparer le gouvernement alg�rien au r�gime nazi. Il fallait �viter que l�image de l�Alg�rie ne soit ternie. Je me suis donc d�plac� � plusieurs reprises � l��tranger pour expliquer notre position � ces ONG. J�ai eu � rencontrer les responsables d�Amnesty International et de Human Rights Watch. Lors d�une tourn�e en Europe, j�ai �galement eu l�occasion de rencontrer des personnalit�s amies de l�Alg�rie qui ne comprenaient pas ce qui se passait chez nous. Certaines d�entre elles ont m�me tenu � visiter les camps de placement. Nous avions accept� car nous n�avions rien � cacher sur ce plan-l�. Nous voulions que le monde comprenne que l�Alg�rie est un pays �normal�, qui faisait face � une situation d�exception. � Le 16 octobre 1991, le pr�sident Chadli Bendjedid proc�de � un remaniement du gouvernement. Le g�n�ral Larbi Belkheir est nomm� au minist�re de l�Int�rieur et des Collectivit�s locales, poste occup� par Abdelatif Rahal. Le d�partement des droits de l�Homme, qui �tait depuis le 4 juin un minist�re d�l�gu�, devient un minist�re � part enti�re. Fin de mission Entre d�cembre 1991 et janvier 1992, les �v�nements s�encha�nent tr�s vite. Les r�sultats du premier tour des �lections l�gislatives du 26 d�cembre sont annul�s, Chadli Bendjedid quitte son poste de pr�sident de la R�publique et un Haut Comit� d�Etat (HCE) est charg� de diriger le pays. Mohamed Boudiaf pr�side cette instance aux c�t�s du g�n�ral Khaled Nezzar, de Ali Kafi, El Tidjani Haddam et de Ali Haroun. Qu�est-il advenu du minist�re des Droits de l�homme apr�s l�arr�t du processus �lectoral et la proclamation de l��tat d�urgence le 9 f�vrier 1992 ? �En fait, ce minist�re a finalement disparu. Je pense qu�il y a eu deux raisons essentielles � cela. Avec l�arriv�e de Mohamed Boudiaf, nous �tions dans une tout autre logique. Boudiaf repr�sentait la libert�, la d�mocratie et il e�t �t� totalement illogique de maintenir ce d�partement minist�riel puisque la d�fense des droits de l�Homme �tait, pour lui, une �vidence. Boudiaf �tait un d�mocrate et un r�publicain convaincu. Son arriv�e avait provoqu� espoir et optimisme dans la soci�t�, surtout au sein de la jeunesse. La seconde raison �tait, je pense, politique. Personnellement, je ne pouvais pas �tre en m�me temps membre du HCE, donc au plus haut niveau de l�Etat, et en m�me temps membre du gouvernement. Cela aurait provoqu� une situation totalement contradictoire�, pr�cise, � ce titre, Ali Haroun. Bilan Il semble difficile de dresser le bilan d�un minist�re qui a eu une existence tr�s br�ve. Mais au-del� de la gestion des dossiers li�s aux centres de s�ret�, le minist�re des Droits de l�homme �tait �galement saisi de questions qui int�ressaient la grande majorit� des Alg�riens. Des questions d�ordre social essentiellement. D�ailleurs, Ali Haroun reconna�t que les pr�occupations des citoyens sont rest�es les m�mes. �Il est curieux de constater que les dol�ances des Alg�riens n�ont pas chang� ces 20 derni�res ann�es. C�est un constat amer. Sur 100 requ�tes, 80 d�entre elles concernaient des probl�mes de logement. Le reste �tait constitu� de sollicitations � propos de probl�mes d�emploi et de prise en charge en mati�re de sant�. Je dois dire aussi que nous avions �tabli un agenda pour lancer l��laboration de textes l�gislatifs sur des sujets tr�s pr�cis. Ceux-ci devaient concerner les statuts de la femme, de l�enfant et des personnes �g�es. Mais tous ces projets de textes de loi n�ont pas abouti.� Pour ou contre ? Aujourd�hui encore, Ali Haroun porte un regard critique sur l�action et le bien-fond� de ce minist�re. �Il est clair que la cr�ation d�un tel minist�re prouve que les droits de l�Homme ne sont pas respect�s. Mais je pense que l�instance qui doit g�rer les droits de l�Homme doit �tre tr�s haut plac�e. A l��poque, ce minist�re �tait n�cessaire et j�estime qu�il l�est aujourd�hui encore.� Farouk Ksentini, pr�sident de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH), partage une position quasi identique. �Je dois reconna�tre que j�ai souvent pens� � cette probl�matique. L�Etat doit mettre en place des institutions fortes qui puissent prot�ger et promouvoir les droits de l�Homme. Je pense qu�il est n�cessaire d�avoir une institution qui dispose d�un pouvoir d�cisionnel important. Il serait utile d�aller vers un d�partement minist�riel. L�avantage d�un ministre est qu�il est en contact permanent avec le Premier ministre et le pr�sident de la R�publique. Il assiste au Conseil des ministres. Il a donc le pouvoir de pr�senter les choses en haut lieu. Actuellement, ce n�est pas le cas de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme qui, comme son nom l�indique, n�a qu�une mission consultative. On ne peut �chapper � la r�alit� : en mati�re de droits de l�Homme, l�Etat est le premier pr�dateur mais aussi le premier protecteur�, a tenu � pr�ciser Farouk Ksentini. Les responsables des organisations non gouvernementales de protection des droits de l�Homme s�opposent �nergiquement � la cr�ation d�un tel minist�re. C�est le cas notamment de Mostfa Bouchachi, pr�sident de la Ligue alg�rienne de d�fense des droits de l'homme (LADDH). �On ne veut surtout pas revenir � ce type de d�partement. Le minist�re des droits de l�Homme n�existe que dans les r�gimes totalitaires. Sa mission consiste � d�fendre l�Etat lorsqu�il commet des violations. Je ne connais pas de minist�re des droits de l�Homme dans les d�mocraties. En Alg�rie, la seule exp�rience date du d�but des ann�es 1990. D�ailleurs, dans un Etat de droit, il ne doit pas exister de minist�re des droits de l�Homme puisque les commis de l�Etat sont cens�s appliquer la Constitution et les lois.� M�me son de cloche du c�t� de la Ligue alg�rienne des droits de l�Homme que pr�side Boudjema� Ghechir. Selon lui, l�Etat doit se d�sengager totalement de la gestion de ce dossier. �Durant les ann�es 1990, nous avions contest� �nergiquement l�existence de ce minist�re. A travers ce d�partement, l�Etat ne peut que devenir partie prenante dans la gestion des droits de l�Homme. Aujourd�hui, l�Etat a repris la gestion de ce dossier � travers la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme. Mais voil�, son pr�sident s�est transform� en porte-parole du gouvernement. Cette commission n�a rien � voir avec les droits de l�Homme. Ni m�me ses membres, d�ailleurs, qui per�oivent des salaires pour ne rien faire�, souligne Ghechir.