La magnifique restitution de l'un des quatre palais des Zianides par l'architecte-restaurateur Abdessamed Chiali est, à l'évidence, une réponse manifeste aux questions de savoir qu'est-ce que le patrimoine dans une société en quête de repères et quel passé celle-ci choisit-elle de privilégier dans sa lecture de l'histoire ? En ciblant le Méchouar, Khalida Toumi aura fait œuvre utile et atténué l'ire des Zianides disséminés à travers le pays. Une ire provoquée, on s'en doute, par la programmation de la fanfare turque sur les lieux mêmes où un véritable génocide avait été perpétré par les janissaires contre la famille royale dont certains membres ont été enterrés vivants. Des amnésiques, il y en a malheureusement encore puisque d'aucuns ont attribué l'extension de la Grande Mosquée de Tlemcen aux Mérinides et aux Ottomans alors qu'elle fut l'œuvre de Yaghmoracen Ibn Ziane. Construite sur des bases dépouillées et austères par les Almoravides, soutiennent Abdessamad Chiali et El Hassar Bénali, La Grande mosquée doit son renouveau architectural à la dynastie des Zianides qui lui donna ses dimensions définitives grâce à la réalisation du minaret, de la coupole centrale où trône majestueusement le grand lustre et d'une cour (çahn) sur laquelle s'ouvre directement la salle de prière. Edifiée en 1317 par Abou Hammou Moussa 1er, la mosquée d'El Méchouar a fait, elle-aussi, l'objet d'une judicieuse restauration, souligne Abdessamed Chiali : “Notre action a permis de mettre à jour, lors de l'opération de décapage de la salle de prières, le mur de la Qibla et de somptueuses mosaïques au niveau de l'ancien emplacement du patio (çahn).” Il est pour le moins curieux, fait remarquer El Hassar Bénali, que des voix s'élèvent aujourd'hui pour attribuer aux Mérinides et Ottomans des réalisations qu'ils n'ont jamais faites. C'est ainsi que le candidat Abdelaziz Bouteflika fut piégé lors de sa première campagne électorale à Tlemcen. Surtout lorsqu'il mit sur le même pied d'égalité Zianides et Mérinides en présence d'une société civile qui n'était pas prés d'oublier le génocide dont avaient été victimes ses ancêtres à la suite de l'un des sièges les plus longs de l'humanité (6 mai 1299-13 mai 1307). Abderrahmane Ibn Khaldoun en témoigne : “120 000 morts parmi les Tlemcéniens lors de ce siège mérinide. Malgré cela la population a persévéré dans sa résistance. Oh, combien ils ont été admirables de persévérance, d'abnégation, de courage et de noblesse.” C'est vraisemblablement au cours de ce siège que disparaîtra à jamais, et c'est El Hassar Bénali qui le souligne, un des quatre exemplaires du Coran rédigés par le khalife Othmane Ibn Affane. Conservé à Tlemcen depuis juin 1248, l'exemplaire en question serait au Maroc depuis sa confiscation par les Mérinides de Fès dont la ville de Mansourah n'a pas été érigée à la gloire d'un peuple assiégé. Elle est, bien au contraire, le lieu de mémoire à partir duquel a été élaboré, décidé et mené l'un des plus horribles crimes imposé à un peuple qui aura donné les plus belles leçons de civilisation, de tolérance et de créativité en matière de sciences, des arts et de don de soi. S'il y a un hommage que certains milieux férus de raccourcis pluriels se doivent de rendre, c'est à Abou Hammou Moussa 1er pour avoir su transformer la désolation imposée par le sultan mérinide Abou Yacoub en possibilités d'action. Tout en reconstruisant sa capitale, il a renforcé les remparts, consolidé son royaume économiquement et socialement mettant ainsi la ville à l'abri d'un nouveau siège avant de maintenir les Mérinides au-delà d'Oujda, de reprendre une judicieuse politique d'expansion dans la vallée du Chéliff et de pousser jusqu'à Béjaïa et Constantine. Ce roi bâtisseur ne survécut cependant pas à la traîtrise de son propre fils et de la cour tlemcénienne quelque peu ébranlés par la décision de Abou Hammou Moussa 1er de faire de la principauté d'Alger sa capitale. A. M. [email protected]