Doucement mais sûrement, sans calcul aucun, une fête ancestrale est mise aux oubliettes, tantôt au nom de la modernité, tantôt par négation et oubli de soi. L'histoire semble prendre la courbe d'un boomerang, et revenir à la même vitesse de l'oubli du rejet et de l'amnésie, pour rattraper son inéluctable trajectoire et redonner vie à l'authentique, quelquefois au détriment de l'officiel. L'engouement et les préparatifs qui ont précédé le nouvel an berbère, car c'est de yennar qu'il s'agit, ont prouvé une fois encore que les Algériens restent attachés à leur histoire millénaire, et que leur destin national et dénominateur commun n'est pas uniquement officiel ou labélisé, mais aussi authentique avec des racines, aussi profondes qu'immenses, à l'image de l'Algérie. à travers les Aurès, et depuis plus d'une quinzaine d'années, des jeunes appartenant au mouvement associatif, souvent des étudiants et des enseignants universitaires, se sont fixé comme tâches et objectifs le dépoussiérage de certaines pratiques, coutumes et traditions, bannies par les lumières de la ville et le monde urbain, pour ne trouver refuge que dans l'arrière-pays. “Ikhf nousouguès amazigh” (le nouvel an berbère) fait partie de ce legs immatériel qui a failli passer de vie à trépas, n'était le bon sens, la sagesse, la perspicacité, le savoir des anciens et la force de la jeune génération. En effet, c'est loin de la mégapole des Aurès (Batna) que la renaissance a eu lieu. Aussi bien dans la vallée du Belezma, ou la vallée d'Ighzar Amelal (oued Labiod) ou encore oued Abdi, Msara (wilaya de Khenchela), Ifker (wilaya d'Oum El-Bouaghi), presque clandestinement, des citoyens avides de leur histoire ont collecté, ramassé, enregistré, filmé ; des hommes et des femmes qui ont continué à vivre et à faire vivre ce patrimoine. L'avènement de l'internet et de la blogosphère (adresse électronique, réseaux sociaux) ont grandement contribué à la relance de plusieurs pratiques sociales et culturelles, dont Yennar qui se targue d'être plutôt un rendez-vous et une fête nationale que régionale limitée aux zones berbérophones, même si l'appellation reste d'origine amazighe, occasion de rappeler que n'est pas berbère uniquement celui qui parle la langue, nous disent des citoyens rencontrés au marché, en quête de fruits secs et de bonbons pour préparer la fête. à l'approche du 12 janvier coïncidant avec le 1er yennayer de l'an 2962, selon le calendrier berbère, celles et ceux qui ont milité pour que la flamme reste allumée peuvent être contents et fiers et aussi récolter les fruits de leur labeur. Dans la wilaya de Batna, deux grandes fêtes auront lieu les 12 et 13 janvier à T'kout et Arris, où un très grand nombre d'invités des quatre coins du pays est attendu. Des conférences débats sur le thème central, qui sera justement le nouvel an berbère, son étymologie, sa genèse et sa portée nationale, constituent l'occasion pour le mouvement associatif de renouveler la revendication pour l'officialisation de cette fête en lui donnant un caractère national. Dans les zones rurales à travers le grand Aurès, les contrastes et diversités pullulent. Le parler de la plaine et de la montagne, l'agriculture des banquettes et du sud, le tapis de Nememcha et des Aith Yacoub, yennar semble être le même pour tous. Un grand festin la nuit du 1er yennar, souvent un couscous au poulet, après avoir nettoyé et changé les pierres de l'âtre. Le soir autour du feu, nena (grand-mère) raconte et pour la énième fois l'histoire du vaillant guerrier sur son cheval blanc (isse amelal). Cette période de la saison coïncide avec l'extraction d'huile d'olive, entamée il y a déjà un mois chez les Aith Soltane et Aith Selame et toute la région de Markunda, les agriculteurs formulent les vœux les plus pieux durant cette nuit du nouvel an, pour avoir une bonne récolte, pour que les bébés naissent en bonne santé. Bonne année 2962. R.H.