La fête de Yennar semble être dans les Aurès un début ou un prélude pour entamer plein d'activités dicté par la nature et surtout l'agriculture. S'il y a une fête qui a pris sa revanche sur l'amnésie, l'oubli et la déculturation, c'est bien Yennar. Spécialement berbère, mais pas exclusivement berbérophone, puisque le nouvel an amazigh est célébré dans les quatre coins du pays, aussi bien dans les régions où l'on s'exprime encore en tamazight (Kabylie, Aurès, M'zab…) mais aussi dans les autres régions du pays, où la mémoire populaire n'oublie point. Yennar, Yeannayer ou encore Nayer, il s'agit de la même fête, puisque c'est la même date ou presque. Pour certains, c'est le 12 janvier, pour d'autres le 13 du même mois. Dans l'arrière-pays de l'Aurès profond, Yennar n'a jamais été mis au placard, même s'il a perdu un peu de sa verve. Les anciens maintenaient la tradition qu'ils ont héritée des aïeuls. La renaissance culturelle qu'avait connue le Grand-Aurès depuis les années 1980, grâce au mouvement associatif, et particulièrement, le Mouvement culturel amazigh (MCA), avait permis une sorte de relance, sommes-nous tentés de dire, une mise à jour de plusieurs pratiques sociales et culturelles qui allaient vers un trépas certain. Cependant, ce fut la fête du nouvel an berbère qui semble avoir le mieux profité de cette reviviscence, pour la simple raison que cette coutume plurimillénaire était encore vivace. Ce qui a facilité ce retour de mémoire sans grand dépoussiérage. Aussi bien dans l'Aurès géographique, où l'usage de la langue berbère avait connu un certain recul, qu'à travers l'Aurès linguistique, où la communication au quotidien fait appel à la langue maternelle (le chaoui), s'est maintenue, voire s'est propagée. La célébration de la fête de Yennar, bien enracinée, est restée la même dans le fond avec peut-être quelques particularités d'une région à une autre, vu la géographie, le climat, la composante humaine, quelques fois aussi, dans l'appellation (nayer, yennar ou encore amenzou n'yennayer) sans plus. Amenzou n'yennayer (le début du mois), toute la famille se mobilise pour donner un coup de balai à la maison, comme pour mettre le compteur à zéro et entamer une nouvelle année. Cette tâche de nettoyage de la maison (akham) revient aux femmes, les murs de la maison sont repeints avec une terre blanche (lous) ainsi que le revêtement du sol par un nouveau tuf. On prend soin aussi et surtout de changer le premier galet de l'âtre (ini) en attendant de placer deux nouveaux galets, en tout, il y en a trois. La fête de Yennar semble être dans les Aurès un début ou un prélude pour entamer pleins d'activités, dicté par la nature et surtout l'agriculture. En effet, dans la région de N'Gaous, aussi bien à Tifrene qu'a Boumagar, c'est le début de la presse des olives. Dans les moulins à huile on prend soin de ne dire que de bonnes paroles, n'accepter aucun blasphème, l'outrage n'est pas toléré ce jour-là, car cela peut fâcher Dame Nature et la presse sera de mauvaise qualité. Chez les Nemamcha, dans la région de Khenchela, Yennar est l'occasion d'installer le métier à tisser (hazeta) pour entamer un nouveau tapis. Une bonne récolte et des nouveau-nés en bonne santé sont les vœux les plus fréquents. Côté culinaire, le premier Yennar (12 janvier au soir), on déguste elfef, une sauce très épaisse à base de semoule et de dattes écrasées. Les enfants se font couper les cheveux et recevront leur première pièce de monnaie. Le meilleur est pour le soir, quand grand-mère regroupe les enfants autour de l'âtre pour leur raconter encore une fois l'histoire de ce cavalier brave comme personne l'a jamais été. Une date qui a fait face à l'oubli, mais qui cherche encore une reconnaissance parmi les siens. Jusqu'à aujourd'hui, l'an 2961, toutes les demandes pour officialiser ce jour comme fête nationale sont restées lettre morte. Bonne Année !