La mort aura fini par avoir raison de l'artiste qui a livré un épique combat à la maladie longtemps domptée par la magie de son verbe. Chérif Kheddam a tiré lundi sa révérence. La triste nouvelle, qui a vite fait le tour, aura eu sur ses milliers de fans, “de sept à soixante-dix-sept ans”, l'effet de cette foudre qu'il chantait dans Erroudh edh ouadhou. On le savait fatigué. Malade. Mais Da Chérif a pu avoir, jusque-là, le dessus sur cette insuffisance rénale tenace qui le contraignait à de longues et épuisantes séances d'hémodialyse. Sa muse inspiratrice a sans doute su entretenir en lui ce feu sacré, un peu à l'image de Prométhée, avec lequel il continuait à enflammer notre imaginaire. Tahar Boudjellil, l'homme orchestre qui était derrière l'organisation du spectacle à la coupole du 5-juillet, il y a quelques années, nous avouait plus tard à Paris qu'entre deux répétitions, l'auteur de Ya lemri se rendait à l'hôpital pour l'hémodialyse. Ce récital “de la coupole”, comme on l'appelle pour le distinguer, pour le singulariser, était un sommet dans son long parcours, jalonné de chefs-d'œuvre. Un moment de pur bonheur et de communion avec les 18 000 spectateurs venus des quatre points cardinaux de l'Algérie pour être les témoins de l'hommage au maître. Da chérif vient de s'éteindre. Comme cette mythique bougie, symbole de la générosité de l'artiste que lui a chanté dans Thirga Oufenan” (rêve d'artiste). Inconsolable orpheline sera désormais la chanson kabyle. Car Da chérif, c'était le père, c'est le parrain. Aujourd'hui, “Theghli thesga iwakham”, pour emprunter la formule qui résume l'ampleur de la perte de l'artiste. Maintenant qu'on doit (hélas !) se résoudre à parler de lui au passé, tous les adjectifs, tous les superlatifs ne suffiraient point pour dire à la fois l'homme et l'artiste qui vient de s'en aller. On soulignera néanmoins que chérif Kheddam est celui qui a sorti la chanson kabyle de l'oralité redondante, du ghetto, pour la hisser au statut de partition écrite qui va lui conférer la dimension universelle. Avec des mots justes et sans afféterie, Chérif Kheddam a chanté sur tous les registres thématiques. La misère des siens avec cette chanson culte Ach hal dhavridh i yeslligh i yemma (combien de fois j'ai entendu ma mère). L'insondable beauté des montagnes kabyles qu'il nous a appris à regarder en poète, “Tsghenight thamourthiw”. L'émigration, le lot de sa génération, lui a inspiré de mémorables couplets comme Khir Adjelav netmorthiw. Da chérif a aussi chanté l'amour. Et c'est d'autant plus beau chez lui et plus suggestif que c'est dit avec des mots pudiques, des métaphores filées empruntées à la nature. Un peu comme les artistes impressionnistes qui lui empruntent sa lumière. Artiste jusqu'au bout de son âme, n'est pas pour autant indifférent à la chose politique, réagissant à sa manière. On se souvient de son “intrusion” à la fac centrale en 1980 pour soutenir les étudiants. Da Chérif a eu aussi mal à son Algérie, en proie aux démons de l'intégrisme dévastateur. Il a dit sa douleur dans cette magistrale chanson Al Dzaïer n'Ch'allah Atahloudh”. (Algérie tu seras guérie inch'allah). Et nous, fans de Da Chérif, serons-nous un jour guéris de ta disparition ? O O