Hubert Guillaud, 39 ans, éditeur de formation, est rédacteur en chef d'InternetActu.net et responsable de la veille à la Fondation Internet nouvelle génération, il revient dans un récent papier (dont nous vous présentons ici de larges extraits) sur le droit à l'utilisation du pseudonyme de plus en plus menacé par les grands tenants du web, tel Google ou Facebook. Disqus est une plateforme de commentaires installée sur plus de 400 000 sites (dont CNN, Engadget, ou Time) et bien évidemment, ceux qui sont à la tête de cette start-up s'interrogent pour savoir comment améliorer la qualité des commentaires. Ils ont récemment fait part d'une infographie en guise d'étude sur leur base de données révélant que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les gens qui utilisent des pseudonymes sont responsables de commentaires de meilleure qualité que les autres. Le pseudonymat n'est pas forcément toxique pour les commentaires, en analysant plus de 500 000 commentaires, l'étude révèle que les commentateurs utilisent majoritairement des pseudonymes : 61 % utilisent un pseudo, 35 % sont anonymes et seulement 4 % utilisent leur identité réelle. Le commentateur moyen qui utilise un pseudonyme contribue 6,5 fois plus que le commentateur anonyme et 4,7 fois plus qu'un commentateur identifié via Facebook (qui est devenu le concurrent direct de Disqus). Mais la différence ne se fait pas seulement dans la quantité, elle se fait également dans la qualité. En attribuant un signal positif à ceux dont les commentaires sont évalués positivement et aux commentaires qui ont entraîné des réponses, Disqus estime que 61 % des commentaires sous pseudonymes sont positifs contre 34 % des commentaires anonymes et 51 % des commentaires établis sous une identité réelle. À l'inverse, les commentaires négatifs (c'est-à-dire ceux qui sont signalés par les autres commentateurs, marqués comme spams ou effacés) proviennent à 11 % de commentateurs utilisant un pseudonyme ou étant anonymes et 9 % de gens signant sous leur vrai nom. Hormis l'effet volumétrique (les commentateurs signant sous pseudonymes ou sous anonymat étant plus nombreux), la politique du vrai nom protège finalement peu du mauvais commentaire. La “guerre” contre les pseudonymes a été en effet relancée l'été dernier. Google a décidé de renforcer sa politique favorisant l'usage de vrais noms pour son réseau social Google+, interdisant l'usage de pseudonymes afin d'obtenir des données personnelles plus facilement monétisables ou indexables. De quoi la politique des “vrais noms” est-elle le symptôme ? Pourtant, il y a de nombreuses bonnes raisons à l'usage d'un pseudonyme, comme le rapportait Geek Feminism qui recensait toutes les nécessités à l'usage d'un pseudonyme et de l'anonymat ou plus encore Danah Boyd en réagissant à la politique des vrais noms de Google+ et qui rappelle que nombre d'inscrits sur Facebook ou Google n'utilisent pas leurs vrais noms, malgré les apparences. Reste que la question est de savoir si l'usage de vrais noms apporte un effet qualitatif aux échanges. Si l'étude de Disqus semble prouver le contraire, ce n'est pas le cas d'une récente étude signée Frank Mungeam de la Gonzaga University de Spokane qui constate que si les flamwars des forums de journaux et de télévisions de Portland sont plus fréquents chez les commentateurs anonymes et que l'usage de vrais noms ne diminue pas vraiment le taux de participation aux forums. Certes, mais encore faut-il s'interroger pour savoir quels commentateurs la politique des vrais noms éloigne-t-elle des discussions ? Comme le disait Jeff Jarvis, le problème des commentaires ne vient pas des commentaires, mais de l'animation de la communauté. C'est exactement ce que souligne Amber MacArthur : c'est la façon dont l'hôte accueille, gère et modère les commentaires qui a le plus d'influence sur la qualité de ceux-ci. Mais on peut également poser la même question. Quels commentateurs la modération et la régulation éloignent-elles ? Qui éloigne-t-on du commentaire en introduisant des formes procédurales, des règles de bienséance ? Comme le soulignait encore Danah Boyd : “Tout le monde n'est pas plus en sécurité en donnant son vrai nom. Au contraire. Beaucoup de gens sont beaucoup MOINS en sécurité en étant identifiables. Et ceux qui sont le moins en sécurité sont souvent ceux qui sont le plus vulnérables. (…) Vous ne garantissez pas la sécurité en empêchant les gens d'utiliser des pseudonymes, vous sapez leur sécurité. De mon point de vue, mettre en place des politiques visant à ce que les gens utilisent leurs vrais noms au sein des espaces en ligne est donc un abus de pouvoir.” De la politique du vrai nom à la fin de la confidentialité Aujourd'hui, même si Google+ semble vouloir assouplir l'interdiction du pseudonymat sur son réseau social (d'une manière vraiment très limitée, souligne Clubic), force est de constater qu'il le fait surtout pour tenter d'alléger les critiques reçues à l'annonce de la personnalisation des résultats de recherche, comme l'expliquait très bien Rue89 ou Farhad Manjoo pour Slate. Une ouverture qui ne remet pas en question la politique des vrais noms que prônent les réseaux sociaux des grands acteurs du net. Cet allégement de façade masque un vrai tournant dans la politique de confidentialité que Google vient d'annoncer : à savoir que Google pourra regrouper les informations provenant de plusieurs de ses services, autrefois séparés, et disposer ainsi d'une vision globale des utilisateurs. Sous prétexte de confort d'utilisation, Google nous traitera comme un utilisateur unique à travers tous ses produits, explique Alma Whitten en charge de questions de confidentialité chez Google, afin de fourbir des résultats de requêtes (et des publicités) plus “performantes” et mettre en avant sa propre solution sociale (Google+) concurrente de Facebook ou Twitter. “Cela signifie que les choses que vous pouviez faire avec un relatif anonymat aujourd'hui, seront explicitement associées à votre nom, votre visage, votre numéro de téléphone dès le 1er mars. Si vous utilisez les services de Google, vous aurez à accepter cette nouvelle politique de confidentialité. Pourtant, une réelle préoccupation des variétés de nos vies privées devrait reconnaître que je pourrais ne pas souhaiter que Google associe deux éléments d'information personnelle”, explique Mat Honan pour Gizmodo dans un article où il explique que cette nouvelle politique brise la règle du “Don't be evil” que se fixait jusqu'alors Google (voir la traduction du Framablog). Il faudrait arriver à mieux mesurer la différence de comportement des commentateurs selon qu'ils sont anonymes ou que leurs commentaires sont associés à leur vrai nom, sans préjugés. C'est en tout cas ce à quoi nous invite Disqus – le problème c'est que cela arrive peut-être un peu (trop) tard. Y. H.