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Les raisons d'une surenchère
Mascara : la pomme de terre dans tous ses états
Publié dans Liberté le 04 - 02 - 2012

Bien que résidant dans une wilaya à vocation agricole, la population de Mascara ne bénéficie nullement de cet avantage puisque les chefs de famille achètent les fruits et légumes aux mêmes prix que ceux pratiqués dans les autres régions, voire plus cher.
À titre indicatif, la pomme de terre est taxée dans la capitale de l'Emir Abdelkader par les commerçants détaillants à 55 DA/kg alors que sur le marché de gros, elle est à 50 DA/kg.
En effet, la complexité du circuit marquant les différentes étapes par lesquelles transitent les productions, un aspect bien souvent ignoré par les consommateurs, influent grandement sur les flux et reflux des prix. Etiquetée à juste titre d'ailleurs comme étant la wilaya dominante en matière de production de pomme de terre, Mascara assume pleinement son rôle en assurant en premier lieu son autosuffisance et en alimentant outrageusement ensuite les wilayas limitrophes. Occupant la première place à l'échelle nationale en matière de production de patate, Mascara est favorisée par la fertilité de ses terres, la richesse en ressources hydriques de ses sous-sols et une main d'œuvre qualifiée.
Le rendement moyen de la pomme de terre est de 50 quintaux à l'hectare dans une zone de premier ordre. Produit de base de tous les mets, la pomme de terre reste l'aliment dont nul ne peut se passer. Dans un passé récent, une bonne partie des ménages de la région de Mascara s'approvisionnait presque gratuitement en pomme de terre tant les récoltes étaient abondantes et les producteurs affichaient leur générosité. Mais depuis peu, beaucoup de facteurs sont intervenus, dont le rétrécissement des superficies cultivables, la hausse des produits dépendants et la volonté des fellahs de placer au-dessus de toutes les considérations leur souci de rentabiliser au maximum leurs récoltes.
Le prix des semences varie entre 6 000 et 11 000 DA le sac dont le poids oscille entre 20 et 25 kg et ce, en fonction de la qualité. Il existe sur le marché des semences dites locales et celles d'importation. Les producteurs disposent du choix de s'approvisionner aussi bien au niveau des coopératives relevant du secteur public que chez les antennes gérées par le privé et agréées par l'Etat contrairement aux années précédentes où l'Etat avait le monopole. Les petits fellahs et autres producteurs avancent factures à l'appui que les prix des semences ont quadruplé et que ceux relatifs à la main-d'œuvre ont été multipliés par 10 au cours de ces cinq dernières années seulement. Ces indices constituent les premiers éléments justifiant en partie la hausse des prix de la pomme de terre toutes variétés confondues et récoltées deux fois par an.
Outre ces paramètres de circonstances, les agriculteurs ainsi que les producteurs sont harcelés par les intermédiaires qui achètent sur pied ou en gros toutes les récoltes dans le but évident d'avoir la mainmise sur les marchés.
Certains producteurs refusant ce procédé préfèrent confier leurs récoltes aux mandataires installés au niveau des marchés de gros lesquels prélèvent leur marge bénéficiaire et fixent les prix de vente aux détaillants. L'autre système de cession des productions instauré ces dernières années est celui ayant trait au stockage de la pomme de terre dans des chambres froides, des aires frigorifiées et autres espaces aménagés à cet effet, des structures réalisées par le privé grâce au concours des autorités locales qui leur accordent des crédits et ce, en vue de provoquer la pénurie et par ricochet la spéculation, pour un écoulement maîtrisé. Un responsable d'une coopérative du secteur public en parle : “Hier, heureux étaient les fellahs et producteurs qui parvenaient à confier leurs cultures à notre unité. Nos services les accompagnaient dans toutes leurs démarches. Ils ont toujours bénéficié de multiples faveurs dont les meilleurs conseils, des prix raisonnables, des prêts de matériels et outillages et même des avances pécuniaires sur les productions. Aujourd'hui, nous sommes en concurrence avec le privé. Néanmoins, nous n'avons jamais forcé la main aux fellahs de maintenir leurs relations avec notre unité. Ils sont libres de se diriger vers les partenaires de leur choix. Nous sommes en démocratie et nous respectons la loi de l'offre et de la demande”.
Quid des intermédiaires ?
Propriétaire de plusieurs chambres froides à Sig, A. A, industriel de son état qui maîtrise parfaitement l'activité qu'il exerce depuis plusieurs années est persuadé que nul ne peut induire en erreur les fellahs et les producteurs de la pomme de terre : “Nous entretenons de bonnes relations avec nos clients. Nous leur proposons de meilleures qualités de service et des prix défiant toute concurrence. Nous leur proposons notre aide en matière de transport et nous les obligeons à assister à la pesée afin de dissiper tous les doutes. Nous sommes conscients que s'ils ne sont pas satisfaits, ils iront ailleurs”.
Abdelkader, dit “smasri”, un quinquagénaire rencontré au marché de gros fait partie de ceux qu'on désigne comme étant des intermédiaires. Il réfute cette appellation, rectifiant le tir en affirmant qu'il exerce une activité commerciale somme toute régulière. “Nous travaillons avec tous les intervenants. Nous ciblons les productions de pomme de terre sur les champs, et après les inspections, nous négocions les prix de toutes les récoltes avec les propriétaires. Si nous tombons d'accord, nous négocions soit avec ceux des autres régions en quête de produit soit avec ceux de la wilaya qui se décident tardivement ou encore avec les mandataires .Certes nous gagnons de l'argent mais ce n'est que la récompense de nos efforts. Nous mangeons du pain propre et nous n'avons jamais encouragé la spéculation”. Abondant dans le même sens, Miloud, entre deux âges, active en qualité de mandataire et détient une antenne au marché. “Les mandataires ont de tout temps existé sur le marché des produits agricoles. Nous détenons des registres de commerce contrairement à d'autres. Nous payons nos impôts et nous contribuons au développement de notre ville. Nous réceptionnons les produits que nous confient les fellahs et ils sont régulièrement régularisés. Nous pratiquons évidemment les prix en vigueur, nous prélevons la marge qui nous revient de droit”.
Pour El-Hadj Ali un agriculteur de longue date, résidant et exerçant dans la commune de Ghriss et qui a toujours cultivé la pomme de terre : “Les fellahs et les agriculteurs sont pointés du doigt à tort par les consommateurs leur reprochant d'être les artisans de la hausse des prix des fruits et légumes. Ces accusations sont loin de refléter la réalité car entre nous (producteurs) et eux (consommateurs) plusieurs mains interviennent et chaque intermédiaire prend sa part de bénéfice. Certains de ces intervenants prélèvent une marge plus importante que la nôtre. Les fellahs qui ne vivent que du travail de la terre s'adonnent à l'achat de la semence, la sèment, assurent l'entretien de la récolte, s'acquittent des frais des ouvriers pour l'irrigation, le désherbage, la cueillette, le lavage et le transport pour finalement n'en tirer qu'un faible bénéfice. En toute honnêteté, la marge de bénéfice des producteurs et des fellahs ne dépasse point les 5 DA par kg. Le prix de la pomme de terre entre sa sortie de nos hangars et sa vente au consommateur, varie du simple au double”.
À une question au sujet de ceux qui mettent à profit la hausse des prix de la pomme de terre pour alimenter celle destinée à la semence, notre interlocuteur est formel : “Un vrai fellah ou agriculteur ne fera jamais cette opération car il a une conscience. Généralement ce sont les spéculateurs détenteurs de cartes d'agriculteurs, poussés par le gain facile qui agissent ainsi. Ils bénéficient de la complicité des coopératives ou des agents agréés qui consentent à leur vendre ces produits au motif qu'ils vont les utiliser comme semence pour les écouler sur le marché. C'est une stratégie adoptée par plusieurs acteurs qui jouent chacun un rôle bien défini avec pour dénominateur commun l'argent”.
A B


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