Les Yéménites étaient invités à désigner, hier, le successeur de Ali Abdallah Saleh, qui a gouverné d'une main de fer le pays pendant trois décennies et a dû céder le pouvoir en novembre 2011 au terme d'un an de manifestations et de violences. Les jeunes révolutionnaires qui occupent toujours les rues de Sanaa disent ne pas être dupes et clament leur détermination à rester mobilisés. En effet, c'est plutôt une succession. Abd-Rabbou Mansour Hadi était le seul à briguer la succession du bourreau de Sanaa, la quatrième victime du “printemps des peuples arabes” de 2011 ! Le Yémen, pays le plus pauvre dans la sphère arabe, n'est pas sorti de l'auberge : le successeur de Saleh a été désigné par celui-ci en novembre ! Saleh qui s'est réfugié aux états-Unis avait accepté ce mois-là de transmettre à son vice-président ses pouvoirs en vertu d'un accord signé à Ryad sous les auspices des pétromonarchies du Golfe, sous le regard bienveillant des états-Unis, après une année de chaos. Mais le spectre d'une guerre civile est loin d'avoir disparu dans ce pays, qui est aussi le théâtre d'une rébellion chiite dans le nord et d'un mouvement sécessionniste dans le sud. En outre, Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa) en a fait son bastion régional et une famine menace. La campagne d'Abd-Rabbou Mansour, dans le pur style de pays à parti et à pensée unique, a été émaillée de violences dans la capitale, mais surtout dans le sud du pays, à Aden, où les velléités indépendantistes ont refait surface. Et ce n'est pas l'ex-adjoint de Saleh qui honorera les obligations du printemps de Sanaa : intégrer les sudistes, les Houthis (nordistes) et la jeunesse, quand bien même il bénéficierait du soutien de son voisin saoudien et de Washington dont le conseiller adjoint de Barack Obama pour la sécurité nationale, John Brennan, s'était déplacé à Sanaa la veille des élections pour se réjouir des efforts déployés par le prochain président pour combattre Al-Qaïda. Les états-Unis, a-t-il professé, espèrent que le Yémen sera “un modèle de transition politique pacifique dans la région” ! Pour les jeunes de la révolution, le soulèvement se poursuivra. Il y a un an, ils ont déclenché le soulèvement contre le président Ali Abdallah Saleh, ils ne démantèleront pas leur campement après l'élection de son successeur. Les proches de Saleh vont certainement contrôler toujours des postes-clés, en particulier à la tête de l'armée et des services de sécurité qui ont fait corps avec le régime. La probabilité que les objectifs d'ouverture démocratique de la révolution yéménite soient court-circuités reste grande. Les jeunes de la révolution, descendus dans la rue fin janvier 2011, à l'instar de leurs camarades tunisiens et égyptiens, pour réclamer le départ de Saleh, ont, en effet, le sentiment d'avoir été marginalisés par les forces politiques traditionnelles. La place du Changement baptisée par eux devant l'université de Sanaa reste mobilisée. C'est une véritable ville de toile occupée par des hommes de tribus en tenue traditionnelle, des quadragénaires de partis de l'opposition, dominés par les islamistes d'Al-Islah, immergés dans la marée de jeunes et d'étudiants en jeans vissés à leurs ordinateurs portables. Le tout coloré par des nuées de niqab. Les femmes sont très présentes, d'autant que leur participation s'est vue couronnée par l'attribution du Nobel de la paix à l'une des leurs. D. B