La grève du secondaire qui entre dans sa 7e semaine révèle la conception que se fait encore le pouvoir de la gestion des revendications sociales. Le gouvernement, après de multiples tergiversations, lâche un morceau : les rémunérations des enseignants de l'éducation nationale sont revues à la hausse. Ce n'est pas assez, estiment les grévistes en se basant sur les vrais indices du coût de la vie et sur les inégalités flagrantes en matière de revenus dont la flèche part du Smig à 8 000 DA au… 300 000 DA que perçoit un député. Mais il n'y a pas que cela. Benbouzid a voulu donner la primeur de ses concessions à la FNTE, le syndicat maison qui ne représente que lui-même, c'est-à-dire pas grand-chose. Le pouvoir cherche à neutraliser les syndicats autonomes sur lesquels il n'a pas prise. Cette méthode a fait un flop. Alors, on change de tactique. Benbouzid déroule le tapis rouge au cla dans l'espoir de semer la zizanie. Deuxième échec. Le Cla fait machine arrière et fait chorus avec le Cnapest dans lequel se reconnaît la grande masse des grévistes. L'UGTA, fidèle à son rôle de pompier au service du pouvoir, a même essayé de jeter le trouble sur le Cnapest en l'accusant d'islamisme ! Panique au sein du pouvoir. Benbouzid invite le Cnapest à la table des discussions non pas en qualité de syndicat, puisqu'il a été déclaré hors-la-loi pour non-conformité, sans que l'on sache pourquoi au juste, mais en tant que collectif représentant les grévistes. Troisième échec. Le Cnapest, fort de sa représentativité, est prêt à revivre l'expérience du CNES, le syndicat autonome, dont la persévérance a fini par venir à bout du pouvoir. Le pouvoir ne baisse pas pour autant les bras. Il a plusieurs tours dans son sac. Il se tourne vers les parents des lycéens pour essayer de les monter contre le Cnapest, faisant brandir la menace de l'année blanche. Si cette manœuvre échoue, il lui restera sa botte secrète : le pourrissement avec son probable lot de dialoguistes qui alimenteront les chroniques et fourvoieront les luttes des enseignants. Comme à son habitude, il fera battre le tambour contre le Cnapest par tous ses obligés qui ne demandent que cela. N'a-t-on pas déjà entendu des associations sigles exiger la réquisition des enseignants grévistes, voire leur remplacement ? Pris à partie, exaspérés et tétanisés, les enseignants baisseraient la garde. Quant à leurs revendications, elles seraient léguées au prochain ministre. Sournoise, machiavélique, la technique a fait ses preuves. Peu importe ses retombées et l'image qu'elle donne du pouvoir dont le but n'est que de perdurer. C'est ce qui s'est tramé contre le mouvement citoyen de Kabylie qui, aujourd'hui, doit également lutter pour sa propre survie. Il y va ainsi en Algérie où, pour le pouvoir, pas de place pour tous ceux qui ne lui mangent pas dans la main. Ailleurs, cela relève de la schizophrénie, mais pas chez nous. Les autorités qui ont une aversion contre tout ce qui ne porte pas leurs empreintes préfèrent rester entre soi et, à la limite, organiser un semblant de dialogue avec des interlocuteurs qui traînent des casseroles, prêts à jouer le jeu. La loi a établi le plurisyndicalisme, le paysage syndical est fleuri d'organisations autonomes, mais pas question d'en faire de vrais partenaires. Le pouvoir ne veut pas de brèches dans son édifice, sachant que les travailleurs, ainsi que les autres composantes de la société, piaffent d'impatience de se doter de représentants crédibles. Voilà pourquoi l'UGTA continue de trôner comme au bon vieux temps du parti unique. Le plurisyndicalisme, c'est comme les partis et les institutions élues, une image virtuelle pour épuiser les Algériens dans d'interminables batailles procédurières et ajourner l'application des conventions internationales que l'Algérie a ratifiées. Le BIT a beau exiger le respect du plurisyndicalisme, le gouvernement n'arrête pas de trouver parade sur parade pour faire reculer les échéances. Avec Bouteflika, aucun nouveau syndicat n'a été agréé et ceux qui le sont doivent faire face à d'interminables difficultés dans le but de les diaboliser. En mettant sous le boisseau les syndicats autonomes, le pouvoir se donne le moyen d'exercer de véritables chantages sur l'UGTA. Que fera Sidi Saïd lorsque l'ordre de choisir entre Bouteflika et ses rivaux lui sera intimé ? Débat cornélien, car il aura en tête les multiples privilèges d'un syndicat unique. D. B.