«Il n'y aura pas d'année blanche», cette expression revient comme un leitmotiv ces dernières années. «J'avais du mal à affronter le regard de mes élèves», confiait hier, Saïd, enseignant dans un collège d'enseignement moyen (CEM) à Alger. La gorge nouée, son compagnon Mourad abonde dans le même sens. «Je me sens humilié!», crie-t-il. Ce cri retentit dans les artères de la capitale. Hier, Alger affichait une mine grise. Les enseignants ont repris les cours dans une atmosphère lourde. Une lourdeur qui en dit long sur la profondeur du mal qui ronge l'Ecole algérienne. La reprise était timide. Tels des «voleurs», les enseignants qui rejoignaient les écoles rasaient les murs. Humilié, l'enseignant est contraint de reprendre les cours. Devant ses élèves, il doit faire comme si de rien n'était. Aussi normal que deux trimestres sont déjà «grillés». Sans distinction aucune entre tabliers blancs, bleus et roses, il doit refiler le sien. L'année scolaire sera finalement noire, surtout que le ministre a décidé de réduire les vacances. Les vieux réflexes ont la peau dure. En effet, l'épée de Damoclès est-elle bien tombée dans l'océan sombre de l'Education? «Les grévistes seront radiés», avait déclaré le premier responsable du secteur Boubekeur Benbouzid, le 6 mars dernier, à la veille de l'ultimatum donné aux enseignants pour reprendre les cours. Cette phrase revient, lancinante encore dans l'oreille de Mohamed, professeur dans un lycée. «C'est par la menace et la répression que les pouvoirs publics ont l'habitude de gérer les conflits sociaux», déplore ce dernier. Armé d'une décision de justice, le ministre a réuni les directeurs de l'éducation de wilaya à Alger. Ferme, il leur a donné comme instruction d'exécuter les décisions du gouvernement concernant le mouvement de grève. «Il n'y aura pas d'année blanche et il n'est pas question de compromettre un droit constitutionnel consacré par le peuple algérien», avait déclaré M.Benbouzid. «Une question à M. le Ministre: l'entrave à l'activité syndicale est-elle une pratique consacrée par la Constitution?» demande N.C, enseignante. «Illégal», c'est la sentence prononcée contre chaque débrayage mené par les syndicats. Celle du 1er mars dernier ne déroge pas à la règle. Saisie par le ministère, la cour d'Alger a encore une fois sévi. Elle a ordonné l'arrêt immédiat de la grève d'une semaine reconductible, lancée depuis le 24 février dernier. Le Conseil national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest) ainsi que l'Union nationale du personnel de l'éducation et de la formation (Unpef) avaient réussi à mobiliser plus de 90% des travailleurs de l'éducation à l'échelle nationale. A la veille de ce débrayage, le ministère avait invité les deux syndicats à une réunion. Censée aplanir les différends, cette réunion a accouché d'une grève. C'est le second mouvement que connaît le secteur cette année. Le 8 novembre dernier, l'Intersyndicale avait décidé d'un débrayage lequel a duré trois semaines. Ensuite, il y a eu négociations, reprise de cours et puis...rien. C'est le statu quo. Pourtant, les enseignants et travailleurs posent des problèmes concrets, liés à l'exercice de leurs fonctions. Il s'agit de revendications socioprofessionnelles qui nécessitent une prise en charge urgente. Le mal est profond. Il dure depuis plus de 10 ans. Curieusement, cela coïncide avec le lancement d'une politique réformatrice du système éducatif. Une décennie de réformes menées tambour battant. Résultat: le bateau de l'éducation chavire. A bord, 8 millions d'élèves et 500.000 travailleurs crient leur désarroi. «Il n' aura pas d'année blanche», c'est l'expression consacrée. Elle revient chaque année, comme un leitmotiv. Cependant, les mêmes difficultés persistent. Les grèves cycliques sont les conséquences d'une crise chronique. A ce jour, les questions de fond restent posées. Le statut particulier, le régime indemnitaire, la gestion des oeuvres sociales, la médecine du travail: la liste est longue. La dernière revalorisation des salaires des enseignants est qualifiée de «consistante» par M.Benbouzid. Chiffres à l'appui, il a indiqué que cette dernière représente 420 milliards de dinars. D'autres sources au ministère ont estimé que cette mesure fait de l'éducation le secteur le plus rémunérateur de la Fonction publique. Cependant, cette augmentation risque d'être un feu de paille. Elle intervient dans un contexte de misère sociale. Le pouvoir d'achat du citoyen est réduit à néant. A cela, ont contribué plusieurs facteurs. Les plus perceptibles sont: la hausse des prix des produits de large consommation, la dévaluation du dinar et le taux d'inflation qui ne cesse de galoper. En plus, cette augmentation ne résulte pas d'une politique salariale basée sur la création des richesses. Preuve en est, l'économie nationale demeure tributaire de la rente pétrolière. Et la cascade de scandales financiers qui secouent Sonatrach, accentue l'incertitude. Une chose est sûre, les salaires des enseignants sont insignifiants comparés à ceux des députés et sénateurs.