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Economie “moins dépendante des hydrocarbures” : concept nouveau ou pratique ancienne ?
Publié dans Liberté le 21 - 03 - 2012

Dans la littérature économique, lorsque l'on traite d'une économie « moins dépendante des hydrocarbures » on vise la promotion des processus de productions industrielles plus économes en énergie carbonée et en matière premières de façon plus générale. La mesure d'efficacité étant en la matière la baisse de l'intensité énergétique par point de PIB produit. Cette nouvelle démarche des économies occidentales est née après le choc pétrolier de 1973 qui a mis fin à l'ère du pétrole presque gratuit. Quelques décennies après, dans la même logique mais aggravée par une indisponibilité quantitative d'hydrocarbures à un horizon visible, est apparu le concept de « croissance durable ».
Chez nous la problématique est totalement inversée. Il s'agit au contraire d'une utilisation intensive (efficace ?) de la rente des hydrocarbures pour financer l'émergence un nouveau modèle de croissance hors hydrocarbures autoentretenu. La célébration du cinquantième anniversaire de l'indépendance offre l'occasion de revisiter les diverses politiques économiques mises en œuvre pour sortir de cette « dépendance ». Lorsque l'on s'éloigne des clichés ressassés, on s'aperçoit en vérité que l'histoire économique du pays montre bien que les tentatives de construire une économie « moins dépendante des hydrocarbures » ont commencé dans la décennie soixante dix. Passons les brièvement en revue.
D'abord le modèle des « industries industrialisantes » mis en œuvre au cours de cette décennie 70 avait bien pour finalité la création en aval d'une industrie nationale diversifiée résultant de l'effet d'entraînement des noyaux durs (« industries motrices ») réalisés en amont (acier,pétrochimie, mécanique,ciment,engrais etc. ). Première erreur : le modèle industriel était totalement intraverti avec des tailles de marché insuffisante pour en garantir la soutenabilité économique et financière d'où d'ailleurs l'apparition de la crise de la dette algérienne dès la chute des prix du pétrole brut en 1986. Une deuxième erreur, que l'on paye encore, doit être relevée : c'est celle d'en avoir exclu le secteur privé. Par exemple la branche de la plasturgie locale avait été nationalisée au lieu de soutenir les opérateurs privés qui en avaient la charge, en cantonnant les efforts publics d'investissement dans la pétrochimie lourde en amont. Enfin la troisième erreur est celle de l'arrêt brutal de ce processus d'industrialisation considéré comme coûteux au profit « d'un vie meilleure ». Ainsi le projet de la raffinerie de Bejaia avait été stoppé alors que les équipements étaient livrés sur site. On imagine les conséquences négatives de cette décision quand on sait aujourd'hui que la seule rénovation de la raffinerie d'Alger coûte un milliard de dollars. Paradoxalement ces mêmes nouvelles équipes au pouvoir avaient promulgué des mesures pour encourager les exportations hors hydrocarbures. Pourquoi faire ? Il n'y avait rien à exporter.
Une deuxième tentative de promotion d'une économie hors hydrocarbures avait été initiée dans la fin des la décennie 80 et le début de la décennie 90. Le projet partait de l'idée qu'en libérant totalement le commerce extérieur et le taux de change du dinar la « main invisible » du marché allait engager un cercle vertueux de croissance hors hydrocarbures. En gros c'est la thèse du « commerce industrialisant ». Résultat de courses des milliers d'entreprises publiques et privées ont été dissoutes, d'autant que certaines d'entre elles, essentiellement privées, avaient engagé des investissements dont les semestrialités de remboursement sont devenues « administrativement » colossales.
Troisième tentative plus récente, et toujours en cours, de construction d'une économie hors hydrocarbures en s'appuyant sur l'avantage concurrentiel que représente les hydrocarbures en tant qu'énergie et matière première. L'idée est en soi intéressante si elle aboutit à la croissance vertueuse de segments industriels aval. La réalité est toute autre. Les seuls transferts d'avantage comparatifs réalisés au profit des industries et des ménages, ne sont que le fait de la Sonelgaz pour l'électricité et ceux du budget de l'Etat pour l'eau provenant des nombreuses usines de dessalement de l'eau de mer. Les branches en aval paient leurs inputs aux prix internationaux (engrais, plasturgie etc.).Alors au lieu des incantations récurrentes sur l'incapacité structurelle de sortir de la rente pétrolière il serait plus productif de tirer les leçons des échecs pour sortir de cette spirale. Les ajustements à faire pour les coups partis seront difficiles à mettre en place. Je pense aux ajustements des prix du gaz pour les usines gazochimiques et d'engrais en phase de démarrage ou celles dont les contrats sont signés.
Au bout du compte le changement de cap résultant des enseignements tirés des pratiques passées devrait s'appuyer, à mon sens, sur trois leviers. Le premier est celui de l'implication systématique du secteur privé : le laisser faire là où il est en mesure de faire et l'associer là où il ne peut pas encore faire seul. Le second levier est celui de la régulation publique dans un contexte social marqué par un déficit de confiance et des tensions sur le partage des revenus. Il s'agira non seulement de soutenir l'offre algérienne naissante mais de liquider progressivement les rentes de toutes nature y compris celles de l'informel par des règles de gouvernance appropriées. Le troisième est non le moins important est le levier du développement du capital humain car tous les nouveaux modèles de croissance impliquent tous un niveau élevé d'éducation et de connaissance. A ces conditions on peut s'autoriser à conclure que la fin de la période de la rente pétrolière ne sera pas la fin de l'économie et de la société algériennes. On pourrait même reprendre Winston Churchill « ce n'est pas la fin ; ce n'est même pas le commencement de la fin ; c'est peut-être la fin du commencement ».
M.M


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