Nous publions l'appel du président et porte-parole du Conseil national pour les droits des victimes de la décennie noire, Djamil Benrabah, qui interpelle les consciences pour défendre la mémoire des victimes du terrorisme islamiste, pour que la République reste debout.Notre pays est entré dans une période où se profilent deux rendez-vous électoraux majeurs : les élections législatives en mai 2012, qui seront suivies des élections présidentielles en avril 2014. Les frémissements et tractations actuels de la scène politique nationale prennent pour toile de fond les bouleversements, qui, depuis une année, agitent le monde arabo-musulman. Ces bouleversements dont notre pays ne saurait rester à l'abri au nom d'une soi-disant exception algérienne sont porteurs à la fois de tous les espoirs, mais aussi de toutes les menaces. Le Conseil national pour les droits des victimes de la décennie noire est une initiative citoyenne. Elle est indépendante de tout parti politique, institution ou clan. Elle ne vise que deux objectifs : d'une part, défendre la mémoire des victimes de la décennie noire et plus largement veiller à la préservation des droits des survivants et de leurs familles, d'autre part, épargner à notre pays et à notre peuple de revivre une autre fois l'enfer qu'ils ont traversé au cours des années 1990, la décennie la plus difficile et la plus puante de l'Algérie indépendante. Par millions, nous avons subi dans notre chair et dans notre âme les affres de la barbarie intégriste et les tares d'un pouvoir politique fortement caractérisé par la prédation, la compromission et l'incompétence. C'est ainsi que 200.000 de nos enfants, de nos parents, de nos proches ont été égorgés et massacrés collectivement dans des hameaux isolés, et plus de 25 000 membres des forces de sécurité qui ont payé de leur vie le combat national contre le projet fasciste, sans oublier 500 000 de nos frères et sœurs, handicapés dans leur chair ou traumatisés à vie. Deux millions d'habitants de nos compatriotes qui vivaient dans les campagnes ont été contraints de fuir les massacres, abandonnant leurs maisons et leurs biens pour aller s'agglutiner dans la précarité la plus totale au sein et autour des villes. Plus de 6000 jeunes femmes ont été arrachées à leurs familles et sauvagement violées dans les maquis, autant de vies brisées, avec dans beaucoup de cas, des grossesses non désirées et d'innocents bébés nés sous X. Des milliers d'Algériens constituant la matière grise de notre pays, chercheurs, intellectuels, médecins, magistrats, enseignants, journalistes, artistes ont été assassinés ou forcés à l'exil. Des milliers de personnes ont été portées disparues, sans que leurs proches ne sachent ce qu'il en est exactement, où elles se trouvent, si elles sont encore en vie, ni où sont enterrées si elles sont mortes. Des centaines d'étrangers, hôtes de notre pays de diverses nationalités, ont été impitoyablement assassinés, dont des religieux que l'islam authentique considère comme Ahl el-kittab (les gens du Livre). Plus de 100 000 de nos jeunes, victimes d'un système éducatif en faillite et fanatisés par une idéologie islamiste étrangère à notre religion et à nos valeurs, ont été enrôlés par un clergé autoproclamé représentant de Dieu sur terre pour tuer et pour mourir en contrepartie d'un pseudo bonheur éternel dans l'au- delà. Qui sont les victimes de la décennie noire ? Les victimes de la décennie noire ne comptent pas que les victimes du terrorisme et les familles qu'il a endeuillées au cours des années 1990. Elles incluent plus largement les très larges couches et catégories sociales qui ont eu à en pâtir, et ce, depuis les événements d'octobre 1988, à nos jours, à savoir : - Les membres des groupes d'autodéfense et patriotes qui ont dû abandonner leurs activités et mettre leur vie au service de la défense de la République. - Les populations rurales qui ont été contraintes de fuir leurs hameaux et abandonner leurs biens. - Les martyrs et les blessés des événements d'octobre 1988, ainsi que leurs ayants droit. - Les rappelés du service national, qui, après avoir répondu à l'appel et combattu le terrorisme se trouvent livrés à eux-mêmes. - Les familles des personnes portées disparues et n'ayant donné aucun signe de vie à ce jour. - Les familles des terroristes abattus, en priorité leurs veuves et leurs enfants qui se retrouvent livrés à eux-mêmes. - Les personnes qui ont été enrôlées sous la menace dans les groupes terroristes et les repentis sincères qui ont pris conscience d'avoir été entraînés dans une immense manipulation diabolique, et qui acceptent d'en témoigner. - Les personnes dont les droits humains ont été bafoués de manière injuste et arbitraire, du fait de la répression antiterroriste, ainsi que leurs familles. La décennie noire a eu également d'autres conséquences qui n'ont pas manqué de frapper l'ensemble de notre peuple. Des dégâts matériels considérables, estimés à 4000 milliards DA ont été causés, dont la destruction d'une centaine d'établissements scolaires, d'hôpitaux et diverses infrastructures publiques. L'image de notre pays a été et restera longtemps ternie. Naguère respecté et admiré pour son héroïque guerre de libération nationale, l'Algérien est aujourd'hui vu comme un terroriste potentiel, un pestiféré, et son Etat national comme une République bananière. Pendant toute cette longue nuit de sang et de larmes, profitant du climat de terreur et de la démission de l'Etat, toute une faune de charognards, souvent déguisés en kamis, a profité d'une manne pétrolière sans précédent, pour accumuler indûment des fortunes aussi rapides que colossales. À l'approche des élections législatives de 2012, et dans la perspective des élections présidentielles prévues pour 2014, des individus qui portent directement ou indirectement la responsabilité de la décennie noire et de ses conséquences que nous continuons à subir, se préparent encore une fois en instrumentalisant l'islam, à partir à l'assaut des institutions du pays pour mieux s'y incruster et instaurer un Etat théocratique où ils seront intronisés émirs. Les uns en s'infiltrant dans des partis islamistes existants, les autres en créant de nouveaux partis islamistes. Ils sentent leur heure venue, à la faveur de ce qui a été appelé “le printemps arabe”. Si ces individus dont certains se réclament de la mouvance islamique modérée et qui, en réalité cachent derrière leurs cravates des couteaux bien aiguisés prêts à l'emploi, venaient à présider à notre destinée, ils donneront le coup de grâce au projet d'une Algérie moderne ouverte sur le XXIe siècle. Ils se serviront de la façade hypocrite de super musulmans, pour imposer la vente concomitante d'un projet de société anachronique et d'un système de gouvernance basé sur la rapine, la corruption, l'incompétence et la répression. En tant que force sociale ayant la légitimité du sacrifice pour la liberté et la dignité durant la décennie noire, il est de notre devoir de faire entendre notre voix et barrer la route à nos ennemis, aux ennemis de l'Algérie. Nous appelons tous les Algériennes et Algériens à : 1- Exiger des candidats aux élections législatives qu'ils se positionnent sur la question de la reconnaissance et la prise en charge des droits matériels et moraux des victimes de la décennie noire et de leurs ayants droits. Cette première revendication doit faire l'objet d'une loi immédiatement suivie de textes d'application. 2- Rejeter la candidature et mener campagne contre toute personne dont la responsabilité directe ou indirecte dans la décennie noire est établie. 3- Dénoncer et combattre toute candidature ou organisation utilisant et instrumentalisant à des fins politiques l'islam qui relève du domaine du sacré et qui ne doit plus jamais être souillé par les turpitudes des jeux politiciens ou hypocritement instrumentalisé à des fins personnelles 4- œuvrer pour l'instauration d'un climat social apaisé, basé sur la fraternité et le pardon en dévoilant toutes les vérités de la décennie noire, les responsabilités des uns et des autres, y compris la question des disparus. 5- Faire émerger des candidats porteurs de la mémoire des victimes de la décennie noire et défenseur des intérêts légitimes de leurs ayants droit. Notre combat sera long, mais la victoire est certaine pour peu que chacun de nous et chaque Algérienne et Algérien épris de justice, de vérité et de liberté s'impliquent et s'engagent dans la bataille des élections pour faire valoir nos droits. Vive l'Algérie libre et moderne. D. B. P/CNDN (*) Le Président et porte-parole