George Bush veut faire croire, à l'issue de son voyage surprise à Bagdad, que la situation sécuritaire s'est beaucoup améliorée dans ce pays, alors que, sur le terrain, les attentats et attaques de la résistance visant Américains et coalisés se poursuivent. Moins de quarante-huit heures après le départ du président américain de la capitale irakienne, pas moins de neuf étrangers, sept agents du service de renseignement espagnol et deux diplomates japonais, ont été tués, en réponse à ses affirmations que la violence a baissé sensiblement en Irak. La résistance irakienne a frappé à deux reprises, samedi, la coalition près de Bagdad et de Tikrit pour démentir le patron de la maison-blanche. Une attaque menée avec des lance-roquettes RPJ et des fusils d'assaut kalachnikov à Suwaïra, située à trente kilomètres au sud de Bagdad, a coûté la vie à sept agents du Centre national de renseignement espagnol. Dans la même journée, deux diplomates japonais ont été abattus dans une embuscade pas loin de Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein. C'est là une manière de tenter de décourager les alliés des Etats-Unis d'envoyer des troupes en Irak pour renforcer la présence militaire des coalisés. Bien que les alliés de Washington réaffirment leur engagement à soutenir les Américains dans leur entreprise irakienne, comme l'ont fait les officiels japonais hier en déclarant : “Nous ne céderons jamais au terrorisme”, il n'en demeure pas moins que la réalité sur le terrain des opérations est tout autre que celle que l'administration Bush veut faire admettre. Il est facile de relever la grande hésitation des responsables des pays alliés à faire suivre leurs paroles par des actes concrets, à travers leurs déclarations empreintes d'incertitude, comme le montrent les propos du premier ministre nippon, Junichiro Koizumi, hier. Le chef du gouvernement japonais a indiqué vouloir “prendre toutes les mesures pour éviter qu'il y ait des pertes humaines”. C'est une manière de rassurer l'opinion publique locale. Dans ce cadre, le ministre japonais de la défense a laissé entendre que son pays allait envoyer en Irak des “forces non combattantes” à Samawa, après qu'une mission de reconnaissance eut constaté sur place que les lieux étaient sûrs. Il est clair que Tokyo fait machine arrière en douce. Par ailleurs, le ministère japonais des affaires étrangères a recommandé à ses ressortissants de reporter tout voyage en Irak et a demandé à ceux qui s'y trouvent déjà de quitter ce pays immédiatement. En dépit de cela, George Bush affichait un optimisme béat quant à l'amélioration de la situation en Irak après son séjour de deux heures et demie à Bagdad, jeudi dernier. La presse américaine est loin de partager son point de vue. “Que le président ait dû emprunter une voiture banalisée, décoller et atterrir dans l'obscurité la plus totale et n'ait même pas pu dire à l'avance aux membres de sa famille qu'il se préparait à aller à Bagdad, en dit long sur la sécurité”, écrit l'éditorialiste du Washington Post. Il s'agit-là de la meilleure preuve que les Américains ne maîtrisent guère la situation sécuritaire en Irak, comme ils le clament haut et fort dans leurs déclarations. K. A. Selon les habitants de latifiya “Les assaillants guettaient les agents espagnols pour les abattre” Les habitants de Latifiya, au sud de Bagdad, se disaient, hier, convaincus que les assaillants connaissaient leurs cibles et ont tendu une embuscade aux agents des services de renseignement espagnols qui passaient en voiture pour les abattre. “Les résistants étaient dans une voiture garée au bord de la route et les attendaient. Ils ont touché avec une roquette la première voiture, qui a continué à rouler deux cents mètres avant de s'immobiliser en feu sur le terre-plein” qui sépare l'autoroute des habitations, affirme Mohammad, 35 ans, qui refuse de donner son patronyme. “La seconde voiture s'est arrêtée au niveau de la première et ses quatre occupants ont tiré dans tous les sens pour se défendre”, ajoute cet homme, dont la maison se trouve à proximité du lieu de l'attaque. L'attaque, menée à l'aide de lance-roquettes RPG et de fusils d'assaut, a visé des agents du Centre national de renseignement (CNI), les services secrets espagnols. Elle a fait sept morts et un blessé léger, selon le bilan définitif communiqué par le ministère espagnol de la Défense. “Les échanges de tirs ont duré près d'un quart d'heure avant que les Espagnols ne soient abattus”, poursuit Mohammad. L'embuscade a eu lieu samedi, en fin d'après-midi, sur l'autoroute reliant Hilla (Centre) à Bagdad, et hier matin, la voiture calcinée était toujours sur place alors que la seconde avait été retirée durant la nuit par les forces américaines. Aucun soldat américain n'était présent hier sur les lieux de l'attaque. “J'ai vu quatre ou cinq hommes cagoulés sortir à pied des ruelles menant à l'autoroute pour attaquer les résistants qui étaient toujours dans leur voiture”, affirme Fawaz, un chauffeur de taxi de 31 ans. “Personne ici ne connaissait la nationalité des tués qui circulaient à bord de voitures civiles. Nous pensions que c'étaient des Américains”, confie Ali, un vendeur de légume de 25 ans. “Les cadavres sont restés longtemps par terre avant que les Américains ne viennent les chercher à bord d'hélicoptères alors que la nuit était déjà tombée”, raconte Hazem, un mécanicien de 20 ans. “Pendant ce temps, quelques jeunes et hommes plus âgés se sont regroupés autour des cadavres, et certains les ont piétinés tandis que d'autres scandaient des slogans en faveur de Saddam Hussein”, ajoute-t-il. “Les sept cadavres ont été recueillis par la 3e brigade de la 82e division aéroportée américaine et ont été transportés dans une chapelle ardente à l'aéroport de Bagdad”, tandis que le survivant a été hospitalisé, a déclaré, samedi à Madrid, le ministre espagnol de la Défense, Federico Trillo. Selon lui, les huit hommes procédaient à des “reconnaissances” dans un secteur de l'Irak sous commandement américain, quatre des membres devant relever les quatre autres qui se préparaient à regagner l'Espagne. Sur les lieux de l'attaque, hier, les jeunes de Latifiya, à 37 km au sud de Bagdad, se disputaient sur l'appellation des assaillants. Certains les qualifiaient de “résistants” et les autres de “moudjahidine” qui a une connotation islamique. Un policier irakien, qui a requis l'anonymat, affirme que la majorité des habitants de Latifiya font partie de la tribu sunnite d'Al-Janabi. L'Espagne entretient un contingent de quelque 1 300 hommes en Irak, stationné dans le centre-sud du pays, dans la zone internationale sous commandement polonais.