Un islamiste candidat à la présidentielle en Egypte suscite la nervosité croissante de l'armée et l'inquiétude des libéraux et des chrétiens. Heureusement pour eux, cette nouvelle situation met en évidence les divisions entre islamistes. L'ambition présidentielle des Frères musulmans change la donne de l'Egypte post-Moubarak. La décision des Frères musulmans de présenter la candidature de Khaïrat Al-Chater a pris de court la hiérarchie militaire qui était persuadée de se réserver la présidence de la République, à travers des postulants qu'elle aurait adoubés. Les islamistes, notamment les Frères musulmans, avaient en effet conclu un deal avec la maréchal Tantaoui : à nous le Parlement et vous, vous gardez la magistrature suprême. L'arrangement s'était effectué au lendemain de la chute de Moubarak. Sur le dos des véritables acteurs du “Printemps égyptien” que les islamistes, par ailleurs, avaient rejoint sur le tard, lorsque la victoire des jeunes, des travailleurs et de l'intelligentsia fut à portée de la main. Ces derniers n'ont d'ailleurs pas baissé les bras, ils ont continué à maintenir en vie l''esprit de la Place Tahrir, arguant que leur révolution a été détournée de son cours par les militaires qui, après avoir fait le lit de l'islamisme durant les décennies avec Sadat puis Moubarak, ont de nouveau choisi de jouer la carte religieuse. Homme d'affaires avisé et stratège politique habile, y compris du fond du cachot de Moubarak où il a plusieurs fois séjourné, Khaïrat Al-Chater figure déjà au rang des favoris du scrutin présidentiel dont le premier tour est programmé les 23 et 24 mai. À 61 ans, ce père de dix enfants incarne l'impatience d'un courant de la confrérie islamiste qui a attendu son heure pendant 84 ans et n'entend désormais pas laisser passer sa chance, au point d'être revenue sur sa promesse de ne pas briguer la présidence. Les Frères musulmans ont justifié ce revirement par le fait que le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui a promis de rendre le pouvoir aux civils à l'issue de la présidentielle, a cherché, selon eux, à limiter les pouvoirs du Parlement depuis la nette victoire de leur parti Liberté et Justice (PLJ) aux législatives avec le score de plus de 40% des sièges à l'Assemblée du Peuple, loin devant tous les autres partis. Pour autant, la candidature de l'islamiste milliardaire a renforcé les divisions entre islamistes, qui présenteront au moins trois candidats, les deux autres étant le dissident réformateur des Frères musulmans Abdel Moneim Aboul Fotouh, exclu de la confrérie l'an dernier, et le salafiste Hazem Salah Abou Ismaïl, proche, bien qu'indépendant, du parti Al Nour, deuxième des législatives avec environ 25% des voix. Ces deux candidats bénéficient d'une bonne assise populaire et certains, y compris au sein du PLJ, s'inquiètent de l'impact de cette cacophonie sur l'image de la confrérie dont 52 des 108 membres de son conseil consultatif se seraient d'ailleurs prononcés contre la candidature de Khaïrat Al Chater, certains pour la perte de la parole donnée. Celui-ci avait assuré publiquement en mars 2011, dix jours après sa libération de prison, que l'Egypte ne reviendra pas au système du parti unique et que les Frères musulmans aideront les autres partis à se renforcer, que même si un parti devient majoritaire, il ne doit pas monopoliser le pouvoir ! Homme de l'ombre jusqu'à la révolution, Al-Chater, comme son nom l'indique, est devenu un personnage-clé depuis la chute de Hosni Moubarak, les émissaires, notamment occidentaux, se pressant pour rencontrer celui qui passe pour être le grand argentier de la confrérie, comme lors de la négociation d'un prêt de 3,2 milliards de dollars du Fonds monétaire international. Ajouter la présidence à son hégémonie parlementaire ne déplairait pas au parti des Frères musulmans dont la majeure partie des militants a applaudi à la candidature d'Al-Chater qui va affronter d'abord un homme de son clan, Abdel Moneïm Aboul Fotouh exclu l'an dernier de la confrérie pour avoir voulu briguer la présidence contre l'avis du mouvement. ` Après, il lui faudra éliminer les candidats de l'armée, sous diverses étiquettes d'indépendants, dont le plus en vue serait Amr Moussa, l'ancien SG de la Ligue arabe. D. B