“Le mouvement réformiste des uléma est apparu comme une réponse au colonialisme. Plus tard, bien après l'Indépendance, des mouvements islamistes sont apparus en Algérie, en étant très regardants sur les apparences et les effets vestimentaires importés d'Arabie Saoudite et d'Afghanistan. Aujourd'hui, les partis politiques islamistes tiennent un discours modéré et parlent même de démocratie. Si ces partis arrivaient au pouvoir, réagiraient-ils comme Khomeiny ?” Ces propos ont été tenus, hier, par Ahmed Adimi, docteur en sciences politiques et colonel à la retraite, lors d'une conférence qu'il a animée au Centre de recherche stratégique et sécuritaire (CRSS) de Ben Aknoun (Alger). L'intervenant a rappelé que le guide de la révolution iranienne avait accordé quelque 160 interviews, dans les années 70, où il avait déclaré, entre autres, que “nous luttons pour la démocratie” et pour le modèle “des libertés totales” qui “respecte les minorités”. Pourtant, après le renversement du schah d'Iran et une fois arrivé au pouvoir, il a instauré une République islamique. “Il a pris tout sauf l'essentiel : le système politique”, a observé M. Adimi. L'ancien officier supérieur de l'APN a également noté qu'après 10 ans de règne, l'ayatollah Khomeiny avait publié une fatwa de mort contre l'écrivain britannique Salman Rushdie, auteur de Les versets sataniques, avant de se demander comment un tel modèle d'Etat avait eu “peur” d'un simple livre. Dans son exposé intitulé “L'islamiste et les défis de la modernité en Algérie”, l'invité du CRSS a beaucoup insisté sur le rejet des islamistes de “la rationalité” allant jusqu'à diffuser des fatwas pour l'interdire, “alors que le Coran invite le fidèle à la réflexion”. Il a, en outre, affirmé que dans le Texte sacré, “il n'existe aucun verset définissant le modèle de l'Etat”, étant bien entendu que le Coran “a axé sur différentes valeurs”. S'appuyant sur les écrits relatifs à l'Etat islamique et de certains arguments avancés, comme par exemple l'application de la charia, le Dr Adimi a relevé que l'idée même de ce type d'Etat restait “vague”. “Certains parlent de chouracratie, qui ne veut rien dire”, a-t-il poursuivi. Sur un autre plan, l'intervenant a précisé qu'il existait “un seul islam et plusieurs islamismes”, dont celui des Frères musulmans et celui de la salafiya. “Certains mouvements islamistes, parmi eux les salafistes, ne reconnaissent pas la patrie et pensent même que les nationalistes sont des impies”, a déclaré le professeur en sciences politiques. Se fondant sur une étude sur l'islam politique réalisée, il y a quelques années, par l'Egyptien Samir Amin, directeur du Forum du Tiers-Monde à Dakar (Sénégal) et président du Forum mondial des alternatives, Ahmed Adimi a souligné que “l'idée de l'islam politique a été introduite en Inde” par les orientalistes au service des Britanniques. Cet islam politique, dira-t-il, a été ensuite repris au Pakistan, suite à “la partition” de l'Inde. Pour le conférencier, les mouvements islamistes, opposés à la critique théologique et contestant le pluralisme religieux et politique, “retardent le moment de construction de la modernité”. M. Adimi a d'ailleurs estimé qu'“il n'y a pas mieux que la laïcité”, déplorant que celle-ci ait été “mal comprise chez nous, alors que la laïcité est venue défendre la religion, en la séparant de la politique”. De plus, ajoutera-t-il, le rejet de la rationalité et de la modernité encourage la dépendance vis-à-vis de l'Occident, voire “l'occupation occidentale”. “Quand les élites disparaissent, ce sont les charlatans qui les remplacent et les gens croient les charlatans”, a conclu l'intervenant. H. A