Son long-métrage, « Kedach Ethabni », tourne autour des sentiments. Elle explique les lignes directrices de son travail, et explore les thématiques qui traversent son film, dont l'avant-première nationale est prévue pour ce week-end. Liberté : Pourquoi avez-vous choisi de raconter les trajectoires des adultes à travers le point de vue d'un petit garçon ? • Fatma Zohra Zamoum : J'avais envie de parler de sentiments, comme sujet premier du film et je me suis rendue compte que ceux qui ont le temps de les exprimer sont les personnes âgés et ceux qui les expriment spontanément sont les enfants. Alors la situation de séparation ou de divorce conjugal rendait possible toute une série de sentiments dans leur expression quotidienne. Etre avec un enfant, c'est pouvoir se poser des questions, s'étonner et s'émerveiller sur le monde qui nous entoure, celui des petites autant que des grandes choses. D'une certaine façon le film traite de l'amour dans toutes ses variantes : quant il se termine et quand il commence, l'amour filial, l'amour dans une famille, etc. Comme cela est difficile à montrer et que les gens ne passent pas leur vie à en parler, il fallait s'attacher aux petites choses de la vie courante pour en montrer la naissance ou la croissance. Justement le regard du petit garçon sur le monde des adultes nous rappelle le petit Noura dans « Halfaouine » de Ferid Boughedir, même si ce n'est pas le même thème ni la même démarche. Ce film vous a-t-il quand même marqué ? • J'aime beaucoup le film Halfaouine mais il s'attache à un enfant qui est déjà un peu plus grand et préoccupé par d'autres choses, notamment la découverte sexuelle. Avec notre petit Adel c'est découvrir et se poser des questions sur le monde des adultes au moment où il a un problème d'espace vital et où il perd un peu sa place. Il a un regard d'enfant qui a découvert la compassion que peuvent inspirer les animaux. Je n'ai pas pensé à Halfaouine en écrivant le film ni en le tournant car ma culture cinématographique est trop intégrée donc devenue part intégrante de mon regard sur le monde, c'est à vous critiques de nous dire ce que vous pouvez y voir. L'amour se décline sous ses différentes formes dans le film (le divorce, les jeunes et l'amour, la communication quasi-inexistante dans le couple des grands-parents, etc.) • La question amoureuse ou la question de l'amour est complexe dans la société algérienne parce qu'il y a beaucoup de pudeur et la primauté de celle-ci sur tout autre chose. Mais aussi une prédominance du masculin sur le féminin dans la façon de raconter le monde. Il est peu recommandé dans la vie quotidienne d'exprimer ses sentiments. Cela se retrouve dans le cinéma autant que dans tous les niveaux de la vie sociale. Et la société a également acquis un regard législatif intégré sur tout, avant même de questionner ses désirs on questionne d'abord le : est ce que c'est bien ou pas. Cela crée une forme de déconnection avec elle-même dans le discours. Je ne pense pas que la société soit injuste puisque les individus qui la constituent acceptent de se prêter consciemment ou inconsciemment au dictat de la primauté du raisonnable sur le senti, même si quand on y regarde de plus près le sentiment déborde de partout et là où on ne l'attend pas pour dérégler la vie. On peut avoir des problèmes énormes par exemple au travail pour des raisons purement sentimentales (un tel n'aime pas une telle, etc.). Il y a également comme un antagonisme entre la tradition et la modernité… • La tradition et la modernité en Algérie sont les grandes questions qui travaillent la société, car il faut inventer un modèle particulier pour vivre en harmonie avec ses valeurs dans un monde qui bouge. La génération des grands parents a des valeurs qu'elle a transmise à ses enfants et ces enfants ont appris à vérifier ces valeurs dans une société qui a depuis longtemps secoué ces valeurs (l'école, l'effort, le travail, le travail qui mérite salaire, l'idée d'une évolution sociale par une amélioration de l'éducation, etc.) mais cela se retrouve dans de nombreux autres pays qui ont changé de modèles sociaux et politiques, à différentes échelles ou degrés. Il y a donc des hiatus de communications sur la question des valeurs et cela vient s'ajouter à ceux qui existent entre les hommes et les femmes sur la nature du discours : raisonnable/sentimental. Toutefois cela n'empêche pas une forme de solidarité qui existe dans la société entre les générations et c'est l'une des grandes qualités de la société, que le film célèbre également. Il n'y a pas que des problèmes, il est pointé aussi une grande attention faite aux enfants, une douceur de vie, le goût des repas partagés, la solidarité entre les voisins, une qualité dans certaines relations, etc. Le détail semble très important pour vous (la caméra s'attardant sur un geste ou une expression), pourquoi ? • La question du film étant comment naissent les sentiments et comment grandissent-ils, j'ai essayé de capter cela grâce à la caméra et en donnant aux comédiens et aux visages le temps de les exprimer ou de les vivre dans les moments les moins spectaculaires de la vie quotidienne. Cela revient à travailler sur des petits détails ou des petits moments qui nous sont habituels à tous mais où pourrait se loger des sentiments. C'est vraiment un mystère pour moi donc j'ai mené cette démarche dans un souci de justesse par rapport au propos du film. Bien sûr, c'est un second niveau de discours sur le film, en premier lieu il y a des personnages qui vivent une histoire complexe et simple en même temps de perturbation pour cause de désamour dans un couple. Il y a une belle part faite à la musique et à l'expression des sentiments par ce biais également, etc. S. K.