La symbiose entre un site difficilement domptable et une pratique ancestrale berbère millénaire a fait que le mode d'habitat dans la “dechra aurassienne” a été une parfaite harmonie entre l'homme et son milieu de vie, dégageant une organisation spatiale qui est l'un des derniers témoignages de l'entente que l'homme a pu établir avec la nature et son espace de vie. Puisant dans la substance de son univers, comme matière et couleur, et s'inspirant de la topographie du terrain, l'homme a fini par intégrer parfaitement et merveilleusement son habitat au site. Il n'a pas cherché à modifier quoi que ce soit dans le dénivelé, faute de moyens, mais il a surtout exploité au maximum la configuration du terrain, en adossant son habitat à la roche (semi-troglodyte), ce qui a donné naissance à une organisation spatiale d'une originalité unique. Le site de Ghoufi représente une des facettes de notre patrimoine culturel et architectural ; très riche en enseignements, qu'il n'est plus possible de classer uniquement dans la case des curiosités ou de contempler avec nostalgie. Il va falloir le prendre en charge, et de la meilleure manière ! Toute cette richesse architecturale, avec ses maisons accrochées aux flancs des canyons, bâties en gradin comme pour assister au spectacle de la nature qui s'offre généreusement (palmeraies, jardins en banquettes, et surtout l'oued Ighzar Amélal). Hormis cette beauté extérieure, l'intérieur présente une tout autre dimension, qui se dégage de l'harmonie y qui règne. Une chaleur née d'une sobriété extrême d'où découle un certain bien-être qui nous interpelle, sans le déceler pour autant au premier coup d'œil. Mais quel est l'élément responsable de ces impressions ? La charpente en bois qui n'est pas la moins diminuée d'esthétique ? Les matériaux d'extrême sobriété ? Ou alors est-ce la répartition des objets dans l'espace ? En tout cas, les rayons du soleil traversent les petites ouvertures pour jeter “thafoukth” (la lumière) sur cet univers aussi beau que fragile. Cet intérieur est fondé sur une répartition d'espace dosé sur une logique d'affectation des différentes surfaces par fonction, car l'espace intérieur est aménagé à la manière d'un décor. Il n'y a ni cloison, ni obstacle ni meuble, sauf des éléments qui marquent chaque endroit. Un poteau par-ci, un dénivellement par-là, des vides pratiqués dans le mur (niches), d'autres objets posés à même le sol, à l'exception d'un élément qui s'impose, non seulement dans l'espace, mais dans la vie entière des habitants de la maison chaouie : le métier à tisser, qui est à la fois moyen économique, repère chronologique et valeur symbolique. Rapport de la maison à la dechra L'implantation d'“akham” (la maison) dans l'espace géographique et l'espace social -et son organisation intérieure- est un des lieux où s'articule la nécessité symbolique ou sociale. L'acte de bâtir, pour un berbère, doit composer avec plusieurs facteurs pour ne pas rompre ou déranger l'équilibre établi, depuis des siècles, par le groupe social de son appartenance. Ainsi, construire veut dire aménager les relations sociales, respecter la mitoyenneté et les espaces communs. Akham est une unité sociale et économique. Elle abrite famille, réserve et animaux. La famille, qui constitue la cellule centrale de la société, est une entité patriarcale agnatique. Les filles quittent les domiciles au mariage. Elles y résident dans le cas des grandes maisons. Ainsi, il est courant de rencontrer deux types de maisons familiales. Dans la première catégorie (grandes maisons patriarcales abritant jusqu'à quatre générations), la demeure est constituée d'un ensemble de pièces indépendantes s'ouvrant sur une cour unique ; chaque pièce est occupée par un couple conjugal avec leurs enfants (célibataires), lui permettant de conserver l'intimité et l'autonomie. Le deuxième type de maison garde toujours la même morphologie mais elle est détaillée, plus modeste, abritant un couple conjugal avec leurs enfants, faisant partie d'un ensemble de maisons qui gravitent autour de la maison patriarcale. Occupation de l'espace par l'homme et la femme La conception de l'espace et son appropriation chez les berbères diffère d'un groupe à un autre. La femme chaouie ne se voile pas et participe aux travaux agricoles (ramassage, cueillette, ensemencement et récolte) et à l'approvisionnement de la maison en eau, en bois et autres besoins. L'ouverture en permanence de la porte d'entrée permettant une relation visuelle directe de la cour, du seuil de la maison, démontre un sens particulier de l'intimité et une hiérarchisation de l'espace, du semi-public vers le privé, établi par la configuration de la dechra. Donc, l'occupation de l'espace par les deux sexes est régie non par une ségrégation sexuelle mais par la nature des tâches inhérentes à chacun et la fréquence d'utilisation des lieux. Le fait de placer la chambre d'hôtes juste après l'entrée ou de l'ouvrir entièrement vers l'extérieur tend à offrir une liberté de mouvement aux invités, et non à extraire la femme de la vue de ceux-ci. Mieux que tous les autres faits de civilisation, la maison permet de repérer les lieux essentiels, les plus intimes de la vie sociale. La maison chaouie de Ghoufi, tout comme d'autres lieux d'habitation (Nara, Ighounem, Balloul, Iguelfen, etc.), vit actuellement des transformations considérables, aussi bien au niveau de la participation à la formation du tissu communautaire qu'à l'organisation spatiale, la structuration, les matériaux et méthodes constructives, jusqu'à sa signification symbolique et sociale. Le béton et le mauvais goût, envahissent l'architecture domestique rurale. Ce même béton devenu symbole de réussite sociale et signe de modernité. La nouvelle maison en béton n'a permis à son habitant ni de conserver les commodités de l'habitat d'hier ni de profiter du confort de celle d'aujourd'hui. L'association les Amis de Ghoufi, qui lance un appel pour stopper les différents travaux dits de restauration au béton nu, estime qu'il est temps d'établir une stratégie de réhabilitation pour protéger cette page de notre histoire. Durant les vacances et les fins de semaines, des bus et autocars ramènent par dizaines, voire par centaines, des écoliers, lycéens et universitaires pour visiter les lieux et admirer les paysages, ce qui ne se passe jamais sans dégât. R.H. Sources : "La Maison traditionnelle", "l'Espace fragmenté de l'habitat des Aurès", l'architecte Bachir Agrabi.