Plutôt que de recourir à des slogans à “lecture variable” sur les questions de la langue et de la religion, le peuple algérien a besoin d'une lecture positive de son histoire par la réponse à la question suivante : pourquoi l'islamisation et l'arabisation ont-elles réussi là où les deux autres religions monothéistes (le judaïsme et le christianisme) et les autres langues (punique, romaine, vandale, turque, française) ont échoué ? Il faut dire que tout au long de son histoire et bien avant l'islamisation et l'arabisation, I'Algérie a été, de par sa position géographique, une terre d'accueil ou d'asile pour des peuples et des tribus venus d'Orient et du nord de la mer Méditerranée. De par sa position géostratégique, I'Algérie a été une terre de convoitise qui a connu les invasions, les résistances, les révoltes pour chasser l'occupant ; ce qui a laissé une forte sensibilité pour les questions ethniques et culturelles. Voici comment François de Villaret résume l'histoire sur l'origine du peuple berbère (1) : “Le peuple berbère s'est constitué pendant la protohistoire par l'adjonction aux anciens néolithiques d'éléments divers venus probablement d'Orient et de Sardaigne, comme en témoignent les dolmens et l'écriture libyco-berbère. Celle-ci s'est probablement formée ici même, mais elle ressemble beaucoup à l'écriture sud-yéménite, ce qui semble indiquer une parenté. Les récits rapportés par les écrivains grecs, romains et arabes sont trop imprégnés de légende pour qu'on puisse en tirer une certitude. Les Berbères du nord de l'Algérie étaient sédentaires. Ceux de l'intérieur étaient nomades, aussi bien du temps des Romains qu'à l'arrivée des Arabes. Il semble que les Gétules de l'Antiquité et les Zénètes des auteurs musulmans soient le même peuple.” Un autre auteur affirme (2) : “Les anthropologues admettent aujourd'hui que toutes les populations blanches du nord-ouest de l'Afrique, qu'elles soient demeurées berbérophones ou qu'elles soient complètement arabisées de langue et de mœurs, ont la même origine fondamentale : elles descendent, pour l'essentiel, des groupes protoméditerranéens qui, venus d'Orient au VIIIe millénaire, sinon avant, se sont lentement répandus au Maghreb et au Sahara.” Donc, les habitants du Maghreb sont des Berbères appelés Libyens ou Gétules par les auteurs grecs et latins, alors que les auteurs arabes les appellent Berbères et Zénètes. Il est utile de rappeler que c'est dans un contexte de résistances et de révoltes pour chasser I'occupant byzantin et après avoir subi les injustices des colonialismes romain puis vandale que vont débuter l'islamisation et l'arabisation de l'Afrique du Nord à partir de 670 après J.-C., an 50 de l'Hégire. Elles vont débuter dans un pays qui souffre depuis plusieurs siècles d'anarchie, de désorganisation et de destruction économique. Alors arrivent des hommes porteurs du message d'une religion qui a réussi à faire tomber de grands empires, tel l'empire persan lors de la grande bataille de Qadissia, par exemple, et qui développe cinq principes : I'anoblissement de l'être humain, I'égalité, la fraternité humaine, la fraternité islamique, la sacralisation de la vie privée. L'anoblissement de l'être humain : “Et très certainement, nous avons donné la noblesse aux enfants d'Adam. Et nous leur avons procuré, sur terre comme sur mer, de quoi monter, et attribué d'excellentes choses comme nourriture, et les avons fait exceller d'excellence sur beaucoup de ce que nous avons créé !” Coran, 17-70. L'égalité, alors que la préférence n'a de sens que par rapport à la piété : “Ho, les gens ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle et vous avons désignés en nations et tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Oui le plus noble des vôtres, auprès de Dieu, c'est le plus pieux des vôtres. Dieu est savant, informé, vraiment.” Coran, 49-13. La fraternité humaine : “Gens ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d'une personne unique, et d'elle son épouse, et qui des deux a fait foisonner beaucoup d'hommes et de femmes. Et craignez Dieu au nom de qui, comme d'un parent, vous vous adressez vos requêtes. Sur vous vraiment le veilleur c'est Dieu.” Coran, 4-1. Ou encore : “Dieu ne vous empêche pas, à l'égard de ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures, de leur faire la charité et d'être, envers eux, à la balance. Oui, Dieu aime ceux qui traitent à la balance.” Coran 60-8. La fraternité islamique : “Rien d'autre : les croyants sont des frères. Faites donc la paix entre vos deux frères, et craignez Dieu. Peut-être vous ferait-on miséricorde ?” Coran, 49-10. La sacralisation du respect de la vie privée : “Ho les croyants ! Evitez de trop conjecturer ; oui, une partie de la conjecture est péché. Et n'épiez pas ; et ne médisez pas les uns les autres. - L'un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? Non ! Vous en avez horreur ! - Et craignez Dieu. Oui Dieu est le grand accueillant au repentir, miséricordieux.” Coran, 49-12. Cette religion n'est pas envoyée à un “peuple élu”, ni à un groupe ethnique, ni à un sexe particulier ; mais pour tous, en tous lieux et en tous temps : “Et nous ne t'avons envoyé que comme une miséricorde pour les mondes.” Coran, 21-107. Ou encore : “Les croyants et les croyantes sont les amis les uns des autres.” Coran, 9-71. Au VIIIe siècle, I'islam et la culture arabe vont gagner l'ensemble de l'Afrique du Nord, jusqu'à Tanger, sous la conduite de Moussa Ibn Noussaïr. De Tanger, Moussa Ibn Noussaïr va confier au Berbère Tariq Ibn Zyad la mission de répandre l'islam et la culture arabe en Espagne, à partir de 711 après J.-C. Il faut noter que contrairement aux occupations romaine, vandale ou byzantine, I'avènement de l'islam et de la culture arabe n'avait pour objectif ni la conquête militaire d'un territoire, ni sa colonisation, ni son exploitation à des fins économiques. Ce n'était pas, non plus, I'expansion impérialiste à des fins géostratégiques. L'objectif était de répandre l'islam à travers le monde, le plus loin possible. Maintenant que nous avons rassemblé ces matériaux pour avancer dans le dialogue sur l'histoire de ce peuple, donnons-nous rendez-vous jeudi prochain pour la suite de la réponse à notre question. Entre-temps travaillons toutes et tous à élargir la base du dialogue sur l'avenir de l'Algérie. A. B. (1) François de Villaret, Siècles de steppes, jalons pour l'histoire de Djelfa, Centre de documentation saharienne, 1995, p. 47. (2) Gabriel Camps, Les Berbères - Modernité et Identité, éditions Errance, 1987, p. 11.