Eric Jackson est un bloggeur qui a écrit un des articles des plus intéressants sur la surévaluation de Facebook, qui rencontre quelques déboires en bourse alors qu'il vient à peine d'y rentrer. Eric Jackson commence par expliquer que deux théories s'affrontent pour expliquer les cycles de vie des grandes entreprises. Celles qui considèrent prioritairement la manière dont elles sont dirigées, la qualité des dirigeants, donc leur formation, leurs visions stratégiques etc. et qui étudient l'effet de ces paramètres sur l'entreprise elle-même. La seconde théorie porte le nom d'“écologie entrepreneuriale” et insiste au contraire sur les effets des milieux, le moment où est née l'entreprise, dans quel contexte, reléguant au second plan les décisions des dirigeants. Eric Jackson dit avoir longtemps dédaigné cette seconde théorie, mais l'observation de l'économie numérique l'amène aujourd'hui à considérer que la viabilité d'une entreprise dépend grandement du moment et du contexte de sa naissance. Et pour lui, il y a de grandes différences entre les Babys Boomers, la génération X (celle des années 70), et celle du nouveau millénaire, ce qui donne, en termes d'économie numérique, trois périodes. Le web 1.0, celui de Netscape, Google ou Amazon. Le web 2 .0, celui de Facebook, LinkedIn ou Groupon. Et le Mobile (avec par exemple Instagram). Et chaque génération a beaucoup de mal à s'adapter aux changements apportés par la nouvelle génération. Google s'est imposé en organisant mieux le chaos du web que ne le faisaient ses concurrents, mais a du mal à s'adapter à la nouvelle manière de penser qui s'est imposée avec le web social (pour Jackson, Google +, le réseau social de Google, est une “ville fantôme”). Quant à Facebook, s'il a emporté la mise du web social, il est probable qu'il ait du mal à franchir le cap de la nouvelle génération. Le web est mort Voici l'analyse d'Eric Jackson, qui précède les événements des derniers jours. Pour lui, ce qui caractérise les entreprises de la nouvelle génération, c'est qu'elles considèrent le mobile comme le premier lieu (voire le lieu exclusif) de leur épanouissement. Elles se conçoivent comme des applications, pas comme des sites web. Or, selon Jackson “Il n'y aura pas de web 3.0, parce que le web est mort.” Pis encore, les entreprises des deux premières générations semblent incapables de s'adapter à ce nouveau paradigme. Ainsi, Facebook perd de l'argent dans le mobile, s'étant contenté de fournir des versions iPhone et iPad de son site internet. Son modèle économique est fondé sur le web (avec d'ailleurs une baisse de revenus entre le dernier trimestre 2011 et le premier trimestre 2012), et Jackson ne voit aucune stratégie pour gagner de l'argent sur le mobile. Comment Facebook peut-il résoudre la question du passage à l'ère du mobile ? Et Jackson de citer un analyste qui explique que Facebook devra sans doute diviser ses services en différentes applications ou site HTML 5 : une pour la messagerie, une pour le fil d'actualité, une autre pour les photos, etc. Cette fragmentation se fera sans doute au détriment de l'essence de Facebook. Et pour lui, le rachat récent d'Instagram par Facebook, entreprise symptomatique de la nouvelle génération, montre simplement la peur de l'entreprise d'être dépassée par un nouveau modèle. Et puis, considérant comment Facebook a traîné les pieds pour aller vers le mobile, Jackson prédit que ces changements prendront trop de temps… car il faut aussi prendre en considération la vitesse des mutations. Et Jackson de citer Tim Cook, le nouveau P-DG d'Apple, qui expliquait qu'en deux ans, l'entreprise avait vendu 67 millions d'IPad, or, il lui avait fallu 24 ans pour vendre le même nombre de Mac, 5 ans pour vendre le même nombre d'iPod et 3 ans pour vendre le même nombre d'iPhone. Et il est tout à fait possible que le rythme des mutations s'accélère encore dans les années à venir. Conclusion d'Eric Jackson : “Les Google et les Facebook de demain n'existent pas encore aujourd'hui. Et d'ici là, bon nombre d'entreprises du web 1.0 et du web 2.0 auront été complètement rayées de la carte. La fortune viendra à ceux qui sauront s'adapter et investir dans cet espace en pleine jachère. Ceux à qui appartiendra l'avenir sont ceux qui le créeront. Les monopoles du web n'ont pas la vie aussi dure que ceux d'antan.” L'intérêt de cette analyse pendant la semaine d'introduction de Facebook en Bourse est de montrer que la chute de l'action est sans doute due en grande partie aux jeux de passe de Stanley Morgan, mais aussi à une faiblesse fondamentale de Facebook, qui elle, n'avait pas échappé aux observateurs avisés de l'économie numérique. Facebook est déjà un dinosaure. Y. C.