L'entrée en Bourse ratée cette semaine du site communautaire Facebook, en dépit du "buzz" autour de cette opération, reflète un appel à la raison du marché et le souhait d'éviter la formation d'une nouvelle bulle internet, estiment analystes et experts. "Je crois que c'est très sain, et je crois que les gens ont appris leur leçon après les années 1990", la formation de la première bulle internet et son éclatement à partir de 2000, estime Gerard Hober, professeur de finances à l'Université du Maryland, et spécialiste des techniques de valorisation d'entreprise. "Cela empêche la formation d'une bulle", ajoute M. Hoberg. "Dans les années 1990, quand on voyait de l'exubérance, on concluait souvent que les gens en savaient plus que nous, et qu'on devait acheter plus", se rappelle M. Hoberg. "Maintenant, quand on voit beaucoup d'excitation sur un titre", "la réaction des experts, c'est de faire une correction et de vendre", note-t-il. De fait, rarement une entrée en Bourse aura été plus médiatisée que celle de Facebook, grâce notamment à sa base de 900 millions d'utilisateurs. Résultat, l'action a été mise à prix au-delà de ce qui avait été prévu, à 38 dollars, et le stock d'actions mises en vente a été gonflé de 25% deux jours avant la première cotation publique, alors même que certains analystes exprimaient leurs doutes sur la performance de l'entreprise californienne, dont la croissance ralentit. Visiblement, l'offre abondante de titres chers ne correspondait pas à l'intérêt réel des investisseurs, d'où la chute de quelque 16% en une semaine d'échanges publics, selon les analystes. Vendredi, l'action a terminé la séance à 31,91 dollars. Dans sa chute, Facebook a entraîné plusieurs valeurs de l'internet social, à commencer par les jeux sociaux Zynga, qui réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires sur le réseau communautaire, mais aussi le site pour professionnels LinkedIn ou celui de bonnes affaires Groupon. Pour Nick Landell-Mills, directeur général de la société d'analyse financière Indigo Equity Research, "le prix a été corrigé". De fait, Facebook est à peu près stabilisé depuis plusieurs jours entre 31 et 33 dollars, dans la fourchette de prix (28-35 dollars) qui avait été annoncée au début du mois, avant que l'emballement médiatique ne parvienne à son comble. Alors que la formation d'une bulle avait été évoquée par certains commentateurs lorsque Facebook a été valorisé à 104 milliards de dollars par ses banques, aujourd'hui le terme est rejeté. M. Landell-Mills est de ceux qui rechignent à extrapoler et à parler de l'exemple Facebook pour évoquer une bulle de tout le secteur internet qui serait en train d'éclater : "quand une bulle éclate ça chute de 40 à 50% comme en 2000-2002", dit-il - et aucune dégringolade de cette ampleur ne semble enclenchée. A l'association nationale du capital-risque, la NVCA, le président Mark Heesen note, quant à lui, que le secteur est loin d'avoir grossi au point que l'on puisse parler d'une bulle sur le point d'éclater. "La dernière bulle qu'on ait eue, c'était en 1999-2000 quand les capital-risqueurs ont investi 150 milliards de dollars en deux ans. Ces deux dernières années, nous avons investi environ 60 milliards, il y a beaucoup, beaucoup moins d'argent dans le système", note-t-il. "Est-ce qu'il va encore y avoir des hauts et des bas dans le secteur pendant que ça continue à exploser ? Sûrement", ajoute M. Heesen, mais pour lui, "tout le domaine des médias sociaux est encore mûr pour investir". Du côté des entrepreneurs, l'opération Facebook "adresse le message aux entreprises envisageant d'entrer en Bourse selon lequel ce n'est peut-être pas le moment", note M. Heesen. Du côté des investisseurs, c'est tout bénéfice pour M. Hoberg : les banques d'affaires pilotant ce type d'opérations "ont tellement mauvaise presse qu'elles (...) vont prendre des mesures en vue de fixer un prix plus bas pour la prochaine opération", prédit-il.