Résumé : Aïssa parti au bled, Louisa profite de son absence pour rendre visite à Monique et lui demander de s'éloigner de son frère. Cette dernière la reçoit avec mépris et arrogance. Elle tente de mettre Louisa à la porte, mais la jeune femme lui donne la correction de sa vie. De retour chez elle, elle rapporte la scène à son mari. Je raconte à Kamel toute la scène chez Monique, et il me reproche mon emportement. Monique va sûrement profiter de la situation et déposer plainte pour coups et blessures, et même pour violation de domicile... Elle est chez elle en France et pourrait inventer n'importe quoi... Rien de plus facile pour elle que de m'accuser de tous les maux, et de me faire emprisonner... Je risquais gros. Je me remets à pleurer. Mon propre frère me donne tant de mal ! Moi qui voulais mener une vie paisible et sereine. Moi qui étais contente de l'avoir auprès de moi en France afin de ne pas trop ressentir ma solitude et ma nostalgie ! J'attendais à tout moment la police... à chaque fois que je mettais les pieds dehors, je ne pouvais m'empêcher de sonder les lieux et de me retourner à chaque pas pour vérifier qu'on ne me suivait pas. Deux semaines passent. Aucun signe de Monique... Kamel me rassure enfin : - Je pense que cette femme n'a plus aucune raison de déposer plainte maintenant... Ses blessures ont dû se cicatriser... Heu... Peut-être qu'elle ne voulait rien faire par égard pour Aïssa. - Mais elle va tout lui raconter. Je n'en doute pas... Il hausse les épaules : - Et alors ? Tu ne voulais que son bien... Tu voulais le sauver des griffes de cette tigresse. Aïssa rentre un mois plus tard. Il n'était ni heureux ni chagriné... Son visage n'exprimait aucune émotion... Un autre à sa place n'aurait pas hésité à montrer sa fierté d'être l'heureux géniteur d'un garçon. Mais mon frère vint me rendre visite pour me remettre quelques présents et me donner les dernières nouvelles de la famille. Il avait prénommé son fils Belaïd. Mon père avait pleuré de joie en prenant son premier petit-fils dans ses bras. Tassadite allait bien et pouvait reprendre désormais ses travaux dans la maison, car en dehors de l'allaitement, c'est ma propre mère qui s'occupera du bébé, comme il était de coutume dans les familles où vivaient encore les belles-mères. Je félicite Aïssa, puis je sentis les larmes inonder mes joues : - Tu ne connais pas ton bonheur mon frère... Tu ne connais pas ton bonheur... Moi je ne connaîtrai jamais cette joie et cette fierté que tu as dû ressentir en prenant ton enfant dans tes bras. Il me serre la main et garde le silence . Je le pousse du coude : - Tu as perdu ta langue... Belaïd va bientôt grandir et te suivra en France... Il rit : - Je ne pense pas Louisa... Belaïd vivra au bled avec sa mère... Il n'aura rien à faire ici... La France était un rêve pour nous. Mais le rêve pourrait parfois s'avérer décevant. - Cela ne tient qu'à toi... Tu peux rentrer au bled si tu veux... Ou bien tout bonnement ramener Tassadite et ton fils... Ils seront plus heureux, et toi tu seras plus tranquille. Il secoue sa tête : - Non Louisa... Non ma sœur... Je ne peux pas ramener ma famille ici... Je n'en ai pas le courage. Je suis encore... Il suspendit sa phrase et j'enchaîne : - Tu es encore avec Monique. Il n'y avait plus rien à faire pour lui. Désormais, nous devions accepter cette situation. Aïssa ne changera jamais. Il avait décidé de mener une double vie, et nous n'y pouvions rien. Kamel me rassura quelque peu, en me disant que Monique pourrait mourir ou du moins en avoir marre d'un provincial et quitter Aïssa pour un Français. Mais j'en doutais fort. Ce genre de femmes était coriace. Une fois leur grappin jeté, elles ne lâchaient plus prise. Le temps, hélas, me donnera amplement raison. Aïssa continua à me rendre visite aussi souvent qu'il le pouvait. Jamais il ne me parla de la scène que j'avais eue avec Monique, et j'en déduis que cette dernière ne lui avait rien dit. Dans son entourage immédiat (entre émigrés et Français), on savait. On savait que Aïssa vivait en concubinage avec une roumia. On se demanda s'il n'allait pas abandonner sa femme légitime et son fils. Beaucoup auparavant avaient comme lui tenté l'aventure du concubinage, et s'en étaient mordu les doigts. Une fois pris dans les griffes de ces diablesses, ils ne pouvaient plus faire marche arrière. Alors ils abandonnaient famille et biens, et coupaient carrément les ponts avec le bled pour n'y revenir qu'à leur vieillesse ou, pire, dans un cercueil. J'étais triste pour mon frère. J'étais triste pour mes parents et pour Tassadite et le bébé... J'étais triste pour moi. J'ai dû frôler la dépression... Parfois il m'arrivait de me lever en pleine nuit, les joues inondées de larmes. Je faisais des cauchemars... Le bon sommeil me fuyait et je me réveillais le matin plus fatiguée que la veille. Plusieurs fois dans la journée, je me surprenais à parler seule et à haute voix... Je ne mangeais plus... Je ne pouvais rien avaler tant ma gorge était nouée... Je maigrissais, et cet état alarma Kamel et Mme Olivier. On m'encouragea à consulter un médecin qui mettra tout de suite mon état sur le compte de mes deux fausses couches... Il me prescrira des calmants et me conseilla de prendre quelques jours de vacances. (À suivre) Y. H.