J'adore la littérature de ce pays, la Tunisie, jardin poétique d'Abou el Kacem Chebbi. Celle ou celui qui n'a pas eu l'occasion de lire les nouvelles d'Ali Douadji ou les romans de Mahmoud Messaâdi n'a rien lu ou presque de la littérature maghrébine écrite en arabe ; celle faite dans la transgression. Même si je n'aime pas Ibn Khaldoun, cela vous étonne, peut-être, mais chaque fois que je visite Tunis, avec un sentiment flou et confondu, je me trouve en train de déambuler dans la ruelle où l'auteur de Al Muqaddima est né, il y a de cela un peu plus de six cents ans. À l'ombre des arcades de l'illustre université Jamaâ Az-Zaytouna, chaque fois que je descends à Tunis, fixant les formes vertigineuses, les angles disproportionnés de la mosaïque artisanale sur les murs, les voûtes et le plafond, je me dis : celui qui n'a pas lu Tahar Haddad auteur du livre controversé et courageux Notre femme dans la charia et la société publié en 1930 n'a rien connu ou presque du combat historique des intellectuels maghrébins contre l'intégrisme et le salafisme religieux. Pour la liberté de pensée et pour la dignité sociale. Aujourd'hui, à l'image de la plupart des écrivains maghrébins, je suis soucieux de cette situation marquée par la violence qui menace les artistes tunisiens dans leur liberté d'imaginaire ! Le mot violence ne répond pas tout à fait à cette folie ou à cette maladie qui frappe de plein fouet la liberté des créateurs tunisiens. On viole l'imaginaire créatif à Tunis. Ce qui se passe en Tunisie, ces jours-ci, en matière de viol et de violation de la liberté d'expression créative commis par les salfistes à l'encontre des artistes et toléré ou accrédité par le silence complice de l'institution, ce qui se passe est inquiétant, dangereux plutôt. Aujourd'hui, après un peu plus d'une année depuis la fuite du président Benali, nous assistons à des scènes d'inquisition, de censure, de marginalisation : pièces théâtrales réprimées, artistes agressés, intellectuels attaqués, salles de cinéma détériorées, tentation de meurtre contre artiste, appel au meurtre des artistes, menace de mort envoyée via internet ou SMS ! La peur s'installe dans les espaces culturels, dans les têtes et dans les universités! Les intellectuels tunisiens ont peur de se voir passer d'un temps marqué par l'interdiction policière à un air recouvert par le péché (le haram) religieux. Voici le printemps arabo-tunisien qui assassine le printemps d'art, dont sa 10e édition s'est tenue à Tunis du 1er au 10 juin 2012. Tel fruit, telle révolution ? Tel chant, tel printemps ! Nous, intellectuels, écrivains et artistes algériens en suivant avec amertume ce qui se passe dans la terre de d'Abou el- Kacem Chebbi, cela nous renforce un peu plus la mémoire afin de n'oublier à jamais les Alloula, Medjoubi, Youcef Sebti, Tahar Djaout, Bekhti Benaouda, Boucebci, Belkhenchir, El Hadi Flici, Salah Baouya, cheb Aziz, cheb Hasseni, Djemal Zeiter, Yefsah, Abada et les autres... A. Z. [email protected]