Ils résonnent encore dans notre mémoire scolaire ces vers d'Abou El Kacem Chebbi (1909-1934) dont les deux premiers seulement figurent à la fin de l'hymne national tunisien : «Lorsqu'un jour le peuple veut vivre, Force est pour le destin de répondre, Force est pour les ténèbres de se dissiper, Force est pour les chaînes de se briser» (c'est bien plus beau en arabe). Avec la dénommée Révolution de Jasmin, on voit que le grand poète, mort à 25 ans, avait assuré leur longévité. Et, si l'on ne sait pas encore où s'achemine l'histoire de nos voisins (pas plus d'ailleurs que la nôtre ou celle du monde), il est une chose, en tout cas, qui semble prendre un chemin parfumé : la culture. Ainsi, le nouveau ministre en charge, Azzedine Bechaouch, a déclaré : «Il n'y aura plus jamais de censure dans tous les domaines de la culture». Dans la foulée, il a annoncé la dissolution des comités de lecture qui veillaient au verrouillage de l'expression, à la grande joie des artistes durement réprimés lors de leur rassemblement du 11 janvier, devant le Théâtre municipal de Tunis. Depuis, un vent souffle. Un mois après la fuite des Ben Ali, l'événement a été célébré par de nombreux concerts, dont le premier a eu lieu à Kasserine, point de départ de la révolte. On y a revu le rappeur El Général Lebled, incarcéré pour sa chanson Président, ton peuple est mort. Partout, sont annoncées des manifestations culturelles. Des pièces de théâtre censurées sont en cours de montage. Bref, un renouveau culturel se profile, enthousiaste et joyeux. Cela dit, il ne serait pas juste de noircir le tableau en affirmant que la Tunisie d'«avant» était un no culture land. La mise en valeur magnifique de son patrimoine et la vivacité de ses artisanats sont des atouts importants. Des festivals prestigieux, comme celui de Carthage (30 ans d'existence), sont d'un professionnalisme remarquable. Le réseau de galeries d'art est sans doute le plus dense du Maghreb. La musique, la chanson et le cinéma comptent de grands noms, le théâtre aussi, la littérature moins – la plus lésée par les interdits – et la formation artistique est, dit-on, diverse et de bon niveau. De tout cela, il n'y a pas beaucoup. Mais ce qui existe est généralement de qualité, même si un certain élitisme affecte presque toutes les disciplines et que nombre de créateurs se sont mis en hibernation ou en exil. Durant des décennies, l'expression culturelle a souvent été instrumentalisée au profit du tourisme, comme un faire-valoir ornemental. Bien sûr, l'absence de censure n'est pas un gage de qualité artistique mais l'art ne peut vivre sans liberté. La Tunisie renferme un formidable potentiel culturel et, maintenant que les deux vers de Abou El Kacem Chebbi, non retenus dans l'hymne national, prennent tout leur sens, le charme suave et immaculé des jasmins peut se doubler de la véracité et du piquant de la harissa.