Le 29 juin 1992 fut assassiné le président algérien Mohamed Boudiaf. Le peuple avait suivi le drame en direct à la télévision. L'espoir qu'il avait incarné à l'époque s'était soudainement évanoui. 20 ans après, on ignore toujours les circonstances exactes de cet affront. C'était Boudiaf est le titre du livre signé Amar Benbelaïd paru à Paris aux éditions Société des Ecrivains. L'auteur nous avertit, il ne s'agit pas d'un travail d'historien et ce n'est pas une biographie de Boudiaf. “Ce que je rapporte n'est simplement que le témoignage d'un compagnon qui avait beaucoup d'estime et de respect pour l'homme, le militant et le responsable que fut Mohamed Boudiaf", écrit Amar Benbelaïd. En effet, l'auteur se base sur la mémoire de son père, un ancien responsable de la cellule du Parti communiste algérien (PCA) de Bordj Bou-Arréridj, et sur celle d'anciens compagnons de Boudiaf. Mais pourquoi ce livre et maintenant ? Pour l'auteur, il n'est pas question d'abdiquer face au pouvoir qui voulait, à travers son référendum de septembre 2005, passer au compte des pertes et profits l'assassinat de Boudiaf. “C'est ce sentiment d'injustice qui m'a poussé à écrire ce livre", précise Benbelaïd. En revenant sur les balbutiements du mouvement révolutionnaire, l'auteur tient à apporter quelques précisions. Fait assez surprenant, Boudiaf n'a jamais été interviewé sur la Révolution. “Aucun historien ni journaliste n'a daigné le rencontrer et lui demander son témoignage, si l'on excepte les époux Barrat qui ont entretenu avec lui, d'abord, une correspondance abondante pendant sa détention et ensuite des entretiens réguliers. Ainsi, même Yves Courrière, dont le livre Les fils de la Toussaint est un témoignage objectif de cette période, ne l'a jamais rencontré", révèle Benbelaïd. De quelques mensonges sur la Révolution L'auteur tient à rétablir certaines vérités historiques et à dénoncer les mensonges érigés en véritables mythes fondateurs de la nation algérienne. Il en est ainsi du fameux Crua, Comité révolutionnaire d'unité et d'action, sigle employé, à la fois pour désigner les “neuf chefs historiques" et le groupe des 22. “Parler des membres du CRUA en dehors du comité est inexact. Ses quatre membres, deux anciens de l'OS et deux responsables de l'organisation, étaient : Dekhli Mohamed, Ramdane alias Ould Amri, Ben Boulaïd et Boudiaf", racontera ce dernier à l'auteur. En effet, dans le contexte de tensions entre partisans du comité central et messalistes, l'objectif du CRUA était de resserrer les rangs du parti. Le CRUA n'avait plus aucune raison d'être et a été dissous dès lors que sa tentative de ressouder les deux tendances du MTLD avait échoué. La réunion des “22" n'est donc pas le CRUA. Cette fameuse réunion a eu lieu le 3 juin 1954 à Raïs-Hamidou, ex-Pointe Pescade, et avait pour objectif de réunir le peuple dans le feu de la Révolution. Les “22" avaient décidé du déclenchement de la Révolution. Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Didouche, Bitat, auxquels s'était joint Krim Belkacem, étaient désignés pour constituer les représentants des différentes wilayas. La légende des “9" est, elle, due à une autre confusion. En effet, en prenant attache avec la délégation extérieure du MTLD basée au Caire, Ben Bella, Aït Ahmed et Khider, la légende des “neuf chefs historiques du FLN" prenait naissance. Pourtant, les “trois" ne faisaient partie ni du groupe des “22", ni de celui des “6". Objectivement, le régime de Nasser a pris part à la fondation de ce mythe. Tout comme le régime colonial avait contribué à l'émergence du mythe “Ben Bella". Après l'arraisonnement de l'avion qui transportait la délégation du FLN, la presse française parlait des “compagnons de Ben Bella" ou encore de “l'avion de Ben Bella". C'est ainsi que Ben Bella s'est forgé l'image de “zaïm", au détriment des autres dirigeants du FLN-ALN, notamment Boudiaf. D'ailleurs, lors des manœuvres de l'état-major contre le GPRA, Boudiaf avait refusé de recevoir l'émissaire de Boumediene, le jeune Abdelaziz Bouteflika. C'est suite au refus de Boudiaf que Boumediene s'est tourné vers Ben Bella pour se désolidariser du GPRA et en faire le seul porte-parole de la Révolution. “La rencontre de deux ambitions va plonger l'Algérie dans des difficultés dont on mesure aujourd'hui l'ampleur", écrit Benbelaïd. Boudiaf ou l'espoir assassiné Ignoré, banni de l'histoire, jeté aux oubliettes, Mohamed Boudiaf sera redécouvert par le peuple en janvier 1992. C'est que l'Algérie s'apprêtait à vivre l'une des tragédies les plus meurtrières de son histoire. Et c'est dans ce contexte que l'on fait appel à lui. Boudiaf n'hésitera pas à venir en “sauveur". Il incarnera l'espoir aux yeux du peuple contraint de choisir entre la peste et le choléra. Boudiaf reprenait contact avec ses camardes du Parti de la révolution socialiste (PRS), dissous en 1980. L'Algérie des années 1990 avait beaucoup changé. Boudiaf notait très justement : “Ballotté depuis trente ans entre le socialisme et le capitalisme, entre l'Occident et l'Orient, entre l'Est et l'Ouest, entre la langue française et la langue arabe, entre l'arabe et le berbère, entre la tradition et la modernité, entre le retour aux sources et les valeurs universelles, notre peuple ne sait plus à quel saint se vouer." Boudiaf recense les maux de l'Algérie. Il s'agit de l'intolérance, l'exclusion, les conflits de culture, de générations, de statuts et d'intérêts, l'absence de communication, la corruption et le terrorisme intellectuel. La crise était telle que Boudiaf avait du mal à trouver 60 personnes intègres pour siéger dans le fameux Conseil consultatif national, qui devait jouer les rôles de l'APN dissoute. Pour Boudiaf, le personnel politique était corrompu et il devenait urgent “de faire émerger d'autres forces issues de la société civile". Une large mobilisation du peuple devenait nécessaire pour soutenir et prendre en charge un programme qui s'attaquerait de front aux maux des Algériens. “C'est dans ce contexte que naît l'idée de créer un vaste rassemblement ouvert à toutes les nouvelles énergies qui émaneraient du peuple algérien et excluant ceux qui ont mis l'Algérie dans la situation de crise", écrit le compagnon de Boudiaf. C'était le Rassemblement populaire national (RPN). Mais tout allait s'évanouir un certain 29 juin 1992. “11h30. Mohamed Boudiaf a été victime d'un attentat, alors qu'il prononçait un discours à la Maison de la culture à Annaba", notait une dépêche. Le peuple assistait incrédule, meurtri, désabusé, à l'assassinat, en direct à la télévision, du président de la République, Mohamed Boudiaf. Ce fut le début d'une descente aux enfers. Le début d'une guerre dont la première victime est la vérité. Celle sur l'assassinat de Boudiaf ne sera, peut-être, jamais connue. Certes, on connaît Boumaârafi, le nom de l'assassin. Mais pas les commanditaires. On a pu signaler des défaillances dans le protocole de sécurité. Mais on ignore encore comment cela a été possible. 20 ans après, la vérité sur l'assassinat de Boudiaf reste à établir. M F