“Quand je m'ennuie, je coupe des têtes. Pas des têtes d'artichaut mais des têtes d'homme." Cet écrit envoyé par un officier français, du nom de Lucien de Montignac, à sa famille en 1842 résume toute la violence utilisée par l'armée d'occupation contre la population indigène sans défense mais qui n'a jamais abdiqué en dépit de toutes les exactions dont elle fut victime. La conférence de presse organisée, hier, par Machaâl Echahid au Forum d'El Moudjahid a eu le mérite de faire intervenir un ancien journaliste, Fodil Ourabah, qui a réuni d'importantes archives sur la question, un éminent historien qu'est le professeur Mohamed El-Korso et un témoin authentique en la personne du vice-Premier ministre, Noureddine Yazid Zerhouni. Les premières entames par un accablant témoignage de ces deux tribus (El-Akrema et Ouled Messaâd) du Sersou (Tiaret) ont été décimées en décembre 1846 par les troupes du général Bugeaud. Bilan : on parle de 200 morts alors que plus de 500 personnes sont faites prisonnières. Un journal relate à l'époque les conditions pénibles dans lesquelles les prisonniers se déplaçaient : Nus ou peu vêtus, des hommes, des femmes et des enfants d'une maigreur à n'en plus pouvoir couchent à même le sol. Saint-Arnaud écrit à ce propos : “Avril 1842 : à Cherchell, Tipasa, Khemis Miliana, on a ravagé, brûlé, tout détruit sur notre passage." Et dire que l'administration coloniale se glorifie de telles exactions ! “L'objectif de ces atrocités, explique Fodil Ourabah, c'est de terroriser la population pour l'obliger à fuir et dégager des espaces" et qui conclut par cet autre massacre commis en 1848 contre la tribu des Ouled Sahnoun de la confédération des Ouled Derradj dans le Hodna. Le Pr El-Korso explique, de son côté, le déracinement comme “une forme de vider l'Algérie de ses habitants, une autre manière de reprendre l'idée que la nation algérienne n'a jamais existé, car c'est la tribu qui personnalise l'Algérie". Une politique largement suivie par la création des centres de tri et de transit (CTT) adoptés par Robert Lacoste dès 1956 et avec eux les fameux SAS créés autour des centres de regroupement entourés de barbelés et où il y avait de tout sauf des moyens d'hébergement. L'essentiel était d'isoler la population des moudjahidine, dira l'historien, précisant que l'âme de la résistance étant la terre. Pour déstabiliser cette population, il fallait recourir aux moyens extrêmes : casser les toitures, brûler les maisons, les arbres fruitiers, les récoltes. Des moyens de les dissuader de revenir sur leurs terres. Pourtant, ces moyens aussi forts fussent-ils n'ont en réalité fait que renforcer le sentiment de nationalisme auprès de ces populations comme en témoigne Bourdieu : “Revenir sur leurs terres était trop fort. Beaucoup préféraient la mort violente à l'attente des bidonvilles." Ces derniers comme les a décrits Robert Bara ressemblaient plus à des camps de concentration nazis. “Mais est-ce que l'objectif est atteint ?" s'interroge l'historien. “Rien de tel", répond-il. “Ces camps de transit sont devenus de véritables camps de résistance et les rapports entre la population et les moudjahidine n'ont jamais été coupés". Acteur ayant vécu de près la Révolution, Noureddine Yazid Zerhouni a rappelé que les camps de transit ont constitué un continuum entre les deux périodes citées. Enlevant sa casquette de vice-Premier ministre, il qualifie “ces exactions militaires de conséquences génocidaires, car dans les deux cas il y a eu institutionnalisation de ces actes avec la création d'une inspection générale de ces regroupements". Il fera un témoignage alors qu'il était au sein du MALG. À partir de 1958, on nous a demandé de suivre les activités de l'armée française et entre autres le pourquoi de la création de ces centres de regroupement. La réponse est que cela constituait un élément complémentaire pour isoler les moudjahidine de la population ainsi que les approvisionnements venant de l'extérieur. Pour ce qui est des chiffres, il porte à la hausse ceux donnés par El-Korso : entre 5 à 6 millions d'Algériens ont été déplacés durant la guerre de Libération sur une population estimée à l'Indépendance à 8 millions, soit une écrasante majorité ayant subi le déracinement. Mais le plus grave, ce sont les conséquences sur lesquelles conclut Zerhouni à savoir que ce déracinement “a conduit à la perte de mémoire des ruraux notamment dans la pratique de l'agriculture. L'exode rural a déstabilisé nos sociétés urbaines où la ville n'est plus en mesure de supporter autant de monde. En 1962, peu de gens sont retournés chez eux et la politique des villages socialistes n'a pas été d'un grand remède à cela". A F