RESUME : Malek vint passer des vacances au bled... Cela fait des années qu'il n'y était pas revenu... Cette fois-ci, il ramène ses enfants pour leur faire visiter la propriété de ses parents dont ils étaient désormais les seuls héritiers. Louisa en était heureuse. Ses neveux aussi apprécièrent la venue de ces cousins qu'ils ne connaissaient pas. Après leur départ, la maison leur parut vide. La maison se vida. Nous ressentîmes tous ce sentiment de tristesse qui accompagne chaque séparation. Deux mois durant, Malek et ses enfants avaient vécu parmi nous. Nous avions passé de longues veillées à nous conter des choses et d'autres. Les gosses avaient fait connaissance avec la terre de leurs aïeux, et adhérèrent facilement aux idées conçues par leurs ancêtres. Je leur ai tout fait découvrir dans le village. Ils repartirent donc heureux et en ayant cette impression d'avoir respecté les vœux de leur famille. Je demeurais sceptique tout de même quand à leur retour un jour. Je savais que les enfants de Malek, à l'instar de lui-même, étaient nés et avaient toujours vécu en Europe... Jamais ils ne pourront reprendre en main le legs précieux des anciens. Néanmoins, Malek avait engagé des paysans pour travailler ses terres et prendre soin des oliviers, des vignobles et de tout ce qui pourrait rapporter. C'était une bonne idée. Car en dehors de lui, qui pourrait s'en occuper ? Il avait même demandé à Belaïd et Idir de jeter un coup d'œil de temps à autre sur le travail des champs et le suivi des récoltes. Ce que mes neveux acceptèrent sans rechigner. Nous étions déjà à la cueillette des olives. L'automne tirait à sa fin, et nous devrions penser à presser nos olives et en tirer de l'huile avant les grandes pluies. Idir nous accompagnait tous les matins moi et Tassadite. Il montait en haut des oliviers et en secouait les branches afin d'en faire tomber les olives que nous ramassions et mettions dans des sacs en jute. Chaque fin de journée, nous rentrons avec nos sacs pleins, sur le dos, et nous stockons notre récolte dans la remise avant de l'acheminer au pressoir. Il ne restait plus qu'un olivier ou deux. Idir, qui devait surveiller ses ruches et les couvrir d'une toile en nylon, ne pouvait nous accompagner dans cette dernière étape. Tassadite et moi avions déjà pu nous passer de ses services. Ma belle-sœur avait, certes, pris du poids avec l'âge mais elle demeurait assez agile pour monter sur un olivier et en secouer les branches. Le ciel, ce jour là, était bas. S'il pleuvait, nous serions trompées jusqu'aux os et nous pataugerions dans la boue sans pouvoir ramasser la moindre olive. Le sentier où se trouvait notre champ d'oliviers était escarpé et, à chaque fois qu'il pleuvait, cela formait des rigoles d'eau qui se déversaient au bas de la colline. Impossible dans de tels cas de s'amuser à ramasser des olives. Ma belle-sœur me rit au nez. Elle me réplique que nous devrions monter justement avant que les pluies ne nous en empêchent. Il suffirait de faire vite et de ramasser le maximum d'olives avant la mi-journée. Soudain un mauvais pressentiment prit possession de mes sens... Ce même pressentiment que j'avais ressenti juste avant la mission et l'accident de Kamel, mon mari. Je regarde Tassadite qui était déjà prête à sortir de la maison, un sac de jute vide sur le dos et un grand bâton dans les bras : - Nous allons frapper les branches basses, me dit-elle, pour les plus hautes, je n'aurais qu'à monter sur l'arbre pour les secouer... Nous terminerons rapidement cette dernière étape, et ainsi pour pourrions constituer notre réserve d'huile et d'olives pour le reste de l'année. Je tire ma belle-sœur par le bras : - Tassadite, nous n'irons pas aujourd'hui. Elle me jette un regard interrogateur : - Que veux-tu dire Louisa ? - Que nous n'allons pas à la cueillette des olives aujourd'hui... Tant pis si la pluie emporte les olives qui restent... Nous avons assez de réserves dans nos granges pour faire le plein d'huile cette année. Tassadite secoue sa tête : - Tu es folle ou quoi ? Tu veux qu'on rate un olivier ou deux ? Pourquoi ? Tu as peur de te mouiller les pieds ? Je serre mes mains l'une contre l'autre : - Je ne sais comment t'expliquer... Quelque chose me dit qu'un malheur va arriver si on montait sur la colline. Elle se met à rire : - Voyons, Louisa... Toi et tes pressentiments ! Si je t'écoutais, je ne sortirais même pas dans la cour. Ne peux-tu pas penser à quelque chose de plus gai ? - C'est plus fort que moi, Tassadite... Il y a, comme ça, des alertes de temps à autre qui prennent possession de mon âme. Je ne peux t'en dire plus, si ce n'est que, souvent, ce que j'appréhende se réalise. Ma belle-sœur s'approche de moi : - Tu ne peux détourner le destin Louisa... Vois un peu ce que tu as tenté de faire pour Aïssa... en fin de compte il est parti pour ne plus revenir. Je sursaute. Pourquoi Tassadite me parle-t-elle de Aïssa maintenant ? Cela fait bien des années que nous avons évité de parler de lui. - Aïssa est un cas différent. Je ne peux pas changer le destin, mais je peux prévoir un malheur... (À suivre) Y. H.