L'ouvrage de l'ancien combattant de l'ALN, Mohamed Amokrane Aït-Mehdi, dit Si Mokrane, tombe à pic avec la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie. « Le dur et invraisemblable parcours d'un combattant », 258 pages, sorti aux éditions Rafar (Algérie, 2012), est publié à titre posthume, car son auteur nous a quittés en juin 2011. Dans ses mémoires, l'ex-déserteur de l'armée française nous fait revivre la dure réalité des maquisards, à l'intérieur du pays, sa rencontre avec le chef de la wilaya III (Kabylie), le colonel Amirouche, puis le travail effectué sous les ordres de ce dernier. Tout en s'intéressant à « une période de combat pour la libération » et à ces moments vécus « souvent dans des souffrances psychologiques, morales, physiques très douloureuses, invraisemblables et qui, parfois, relèvent de l'irréel. » Dès les premières lignes, Aït-Mehdi avertit que, dans son récit, la « vérité sera le principe directeur de cette narration d'un événement dont la portée aura été considérable dans le monde et dont l'issue aura été à la mesure du sacrifice des enfants de ce peuple ». Il sera question surtout de la période la plus dure de l'histoire de la wilaya III, des « dérives » et de ces moments sombres de la guerre d'indépendance, « pour le respect du droit de savoir des jeunes et moins jeunes ». La bataille de Souk-Ahras en avril 1958 Amokrane Aï-Mehdi est né le 23 mars 1931, à Draa El-Mizan, wilaya de Tizi-Ouzou. Il est issu d'une famille nombreuse, dont le père travaille comme simple fonctionnaire. Il suit des études notamment au collège de Béni Yenni, puis au lycée de garçons de Maison Carrée (El-Harrach). Après l'obtention de son baccalauréat, il rejoint en octobre 1954 l'école des sous-officiers d'active de Cherchell, ensuite l'Ecole d'enfants de troupes de Koléa, pour préparer le concours d'entrée à l'Ecole de Saint-Cyr. Une année après, Aït-Mehdi est envoyé à St-Maixent (France) et obtient le grade de sous-lieutenant. A l'issue de cette formation, il est affecté au 42ème Régiment d'infanterie à Colmar, avant d'être envoyé, fin 1956, à Souk El-Had, comme chef de section. Mais, il n'y restera pas longtemps, puisqu'il sera muté à Neuf Brisach, à la frontière franco-allemande, pour former les appelés algériens de l'Oranie. Le 14 septembre 1957, il est arrêté par des gendarmes, à la gare de Dinan, alors qu'il s'apprêtait à déserter l'armée française. Il sera alors incarcéré à la prison de Fresnes, pour « atteinte à la sûreté de l'Etat et tentative de désertion ». Dans la prison, il rencontre le capitaine Zerguini et d'autres officiers algériens : Djebaïli, Khelifa, Abdelmoumen, Boutela, Smati, Cheloufi, Madaoui, Chabou, Hoffman, etc. A sa sortie de prison, en janvier 1958, Si Mokrane décide de rallier les rangs du FLN/ ALN. Grâce à l'aide d'étrangers anticolonialistes, il rejoint la Tunisie via la Belgique, l'Allemagne et l'Italie, avec d'autres officiers déserteurs. De là, il sera affecté, dans la wilaya III, avec le sous-lieutenant Ben Messabih, originaire de Mascara. Avec ce dernier, il franchit la ligne Morice, dans la nuit du 28 au 29 avril 1958 et prend part à la bataille de Souk-Ahras. Purges et tortures La grande partie de l'ouvrage est consacrée à ses retrouvailles avec le colonel Amirouche, à la wilaya III, à la formation des djounouds et à ce qu'il a vécu et observé dans la période de la « Bleuite », opération de guerre psychologique montée par les services français. « La manipulation ennemie fut tellement bien réussie qu'un bon nombre de moudjahidine suspectés, dont de nombreux instruits et intellectuels, selon mes informations et lectures, furent liquidés, après avoir subi d'atroces tortures », écrit-il. D'abord, il est « intrigué » en voyant des Algériens « enchaînés » les uns aux autres et conduits vers les abords du PC de wilaya, situé non loin du refuge où il dort. Ensuite, il est témoin, en juillet 1958, d'un « spectacle affreux » : il voit « deux hommes grands, nus, presque dans le coma et les pieds attachés à une grosse branche d'un chêne zen » (p 43). « Un grand malheur s'abattait sur la wilaya III, qui détruisait les siens et s'acharnait sur eux, avec la bonne volonté du comité de wilaya et de certains secrétaires, également pris au piège de l'ennemi », témoigne Si Mokrane. Autre souvenir douloureux : il se rappelle ce jour d'août 1958, où des cadres et djounouds, réunis par le colonel Amirouche, assistent à « la lapidation de certains bleus, qui avaient subi la torture » (p 45). « L'amour pour la patrie fut tel qu'il ne venait pas à l'esprit de la population ou des combattants, qu'un moudjahid serait torturé ou tué à tort », révèle-t-il. Pour ce qui est d'Amirouche, l'auteur souligne que celui-ci « était un grand chef et un grand homme d'action, paraissant sensible et dur avec lui-même ». Sans réduire la responsabilité du colonel Amirouche, Si Mokrane déplore que « personne de son entourage n'a tenté d'attirer son attention ni l'appeler à la réflexion ». En plus clair, la responsabilité des cadres et collaborateurs d'Amirouche, plus particulièrement de « cette équipe de tortionnaires, ainsi que celle des chefs de zones demeure énorme ». L'auteur prévient en outre que c'est dans cette période, riche en manquements et en règlements de compte, que l'ennemi engage, dès juillet 1959, une autre manœuvre diabolique : l'opération « Jumelles ». C'est également dans cette période très difficile, marquée par « les offensives ennemies et l'hécatombe », et par la mobilisation de milliers de harkis, organisés en « commandos de chasse », que le colonel Amirouche décède, sans laisser de successeur. Face au « vide absolu » laissé par ce dernier et devant l'absence de décision du GPRA, alors que « la situation de la wilaya se dégradait tragiquement », basculant « dans l'anarchie », un congrès des « officiers libres de la wilaya III » se tient, le 14 septembre 1959. Ce mouvement était dirigé par les lieutenants de zones, Si Allaoua et Si Saddek Ferrani. « Il fallait cette décision historique pour faire bouger nos chefs de l'extérieur », relève l'auteur. Pour mettre un terme aux « mensonges de l'histoire » et réhabiliter le mouvement des officiers libres de la wilaya III, ce dernier écrit : « Malgré l'hécatombe occasionnée par la Bleuite et l'opération ‘'Jumelles'', les moudjahidine congressistes de la région 4 -zone 2 (...) résistent à l'ennemi qui croyait avoir gagné la partie et demandent l'intervention de l'état-major, qui exige enfin l'application du règlement et des dispositions de la plate-forme de la Soummam ». Le livre d'Amokrane Aït-Mehdi, très documenté et contenant, entre autres, des témoignages, des rapports sur la situation de la wilaya III et des courriers des officiers de l'ALN, constitue certainement un des ouvrages clés pour approcher « la vérité des faits historiques » relative à la wilaya III, qui a été à la pointe du combat libérateur du peuple algérien. H A