Une ambiance ramadhanesque, propre à toutes les régions d'Algérie, règne en ce mercredi ensoleillé à Fréha, ville située à une trentaine de kilomètres de Tizi Ouzou. Les citoyens vaquent à leurs occupations quotidiennes, et rien ne semble inhabituel, sauf peut-être pour quelqu'un qui vit dans la localité ou a l'habitude d'y transiter : ce nouveau taggage sur un mur adjacent aux locaux de l'APC. Les murs de la ville débordaient déjà d'autres slogans hostiles à la gendarmerie (Fréha compte une caserne ainsi qu'une école) et au pouvoir, mais le nouveau slogan est destiné à l'administrateur de l'APC, tout nouvellement installé par le wali de Tizi Ouzou pour gérer les affaires de la commune en attendant les élections partielles. En accédant au siège de l'APC de Fréha, rien ne pouvait révéler un dysfonctionnement et ce, en dépit de l'absence d'un maire, tant Fréha fait partie des 30 communes où le vote n'a pas été validé car aucun votant n'a été recensé. Des citoyens entraient et sortaient des différents services et subdivisions, alors que les documents de l'état civil se faisaient délivrer comme cela s'est toujours fait, à la différence que c'est la griffe d'un agent délégué qui y est apposée. Le seul service qui nécessite l'intervention du maire est celui des finances. Les services réglementation, secrétariat, technique et social peuvent se contenter d'une délégation de signature, du chef de daïra par exemple. Sur les tableaux d'affichage de la mairie, l'on pouvait remarquer de nouvelles annonces paraphées par le tout nouveau administrateur de l'APC : “Horaires du mois de ramadhan, avis de consultation aux entrepreneurs”, etc. Nous avons tenté d'approcher des fonctionnaires de l'APC, en vain. On s'abstient de répondre aux questions des journalistes par crainte, sans doute, de sanctions. “Il faut avoir l'aval du secrétaire général”. Tant pis ! Le secrétaire général de l'APC était absent, il fallait l'attendre pour “l'aval” ou du moins, pour s'enquérir de la situation générée par l'absence d'élus. Notre surprise était grande lorsqu'il arriva. Il ressort de son bureau après y être entré et fonce tout droit sur nous, vociférant : “Je n'ai rien à déclarer”. “Je n'ai aucun commentaire à faire”, ou encore : “Allez voir ailleurs”. Ne comprenant rien à l'attitude pour le moins incorrecte et à la limite du ridicule de cet individu, nous nous sommes tournées vers l'administrateur qui ne tarda pas à arriver. L'homme, d'un certain âge, avait l'air serein dans son bureau situé au dernier étage. “Quelle est votre mission dans cette APC ?” La réponse ne s'est pas fait attendre : “Je suis l'administrateur de cette APC. Chaque mois, j'ai à signer la paie des travailleurs; quand des bus sont en panne, je les fait réparer, etc. Ce n'est pas pour m'enrichir que j'ai accepté cette responsabilité, c'est parce que j'ai vingt ans de service dans cette APC d'où je suis d'ailleurs retraité. C'est pour cela que j'ai accepté cette mission. Je ne suis ni élu ni militant d'un quelconque parti politique, mon seul parti, c'est l'ALN !” C'est en exhibant de vieux clichés datant de la guerre de Libération que notre interlocuteurs nous relate une partie de son combat, en tant que sous-officier de l'ALN, durant la période de 1954 à 1962. “Je n'ai rien à voir avec la politique !”, renchérit notre hôte avant d'insister sur le fait que c'est pour servir sa commune qu'il a accepté d'occuper ce poste. Il commence ensuite à énumérer les problèmes que vit la localité et que l'orateur semble bien connaître. Une localité qui souffre, entre autres, d'insuffisance accentuée en AEP (alors que la région est à vocation agricole), de pannes fréquentes d'électricité. Tous ces problèmes ont fait que l'APC de Fréha a toujours été difficile à gérer. “C'est une commune qui est très difficile à gérer. Une grande ville avec beaucoup de chômeurs, l'inexistence de loisirs, le problème de l'eau. Les agriculteurs font des chaînes de trois heures pour pouvoir remplir leurs citernes, l'électricité est toujours en panne alors que l'abattoir de Fréha a été fermé à cause des problèmes d'eau et d'électricité.” L'administrateur : “Je vais démissionner !” La mission de cet administrateur doit prendre fin après l'installation des futurs élus, à l'issue d'élections partielles. Avant de quitter le bureau de l'administrateur, et contre toute attente, notre vis-à-vis nous livre un scoop : “Je ne resterai pas jusqu'à mars, je démissionnerai ces jours-ci !” Pourquoi ? “Parce qu'il n'y a pas d'Etat. Ensuite, je ne peux pas me chamailler chaque jour que Dieu fait avec les citoyens de mon village”. L'administrateur contesté donne libre cours à sa pensée : “Je croyais que les élus seulement étaient rejetés par les archs, j'ignorais que les DEC et administrateurs étaient concernés par ce rejet”, nous déclare-t-il avec désolation. Il nous révèle que lui-même était “tamen” de village, chef du comité de sages, et qu'il respecte beaucoup, à l'instar de tous les citoyens, les décisions des archs. “J'ai accepté cette mission parce que j'ai déjà travaillé ici. J'étais adjudant et j'ai eu cinq blessures durant la guerre !”, souligne encore l'ancien maquisard en songeant certainement aux taggages le traitant, lui, de harki. Il nous dira avoir été très affecté avec sa famille par les propos inscrits sur les murs. À notre sortie de l'APC, nous avons constaté que les murs en question étaient repeints et les slogans effacés. Entre-temps, le arch d'Ath Jennad était en réunion. L'ordre du jour principal concerne justement l'affaire de l'installation d'un administrateur à la tête de l'APC de Fréha. Des contacts entre les deux parties ont eu lieu, parfois avec l'administrateur lui-même, sinon avec sa famille. Un accord devait être conclu : l'administrateur se retire et les arch élabore une déclaration pour dénoncer d'une part, les taggages et d'autre part, innocenter l'administrateur qui n'avait pas des intentions qui auraient pour but de contrecarrer les décisions du arch, donc du mouvement citoyen. L'affaire a donc été réglée à l'“amiable”. Aux dernières nouvelles, l'administrateur devrait remettre les clés de l'APC aujourd'hui même. À l'instar de Fréha, l'APC d'Ifigha dans la même daïra (Azazga) s'est vue installer un administrateur, en attendant les 28 autres communes où le vote n'a pas été validé car aucune urne n'a pu être acheminée le 10 octobre dernier dans ces trente localités. Il reste 37 communes où les résultats, dans la majorité écrasante des cas, avoisinent zéro pour cent. Malgré cela, les élus ont été installés. Lesquels élus sont qualifiés d'illégitimes par la population. Dans quatre de ces communes : M'kira, Makouda, Bouzeguène et Ath Khelili, la population a eu à subir un chantage administratif. En effet, les griffes de l'APC ont été réquisitionnées par les chefs de daïra, privant ainsi les citoyens de se faire délivrer des documents de l'état civil, ce qui est le minimum de leurs droits. K. S.