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La «justice de la guillotine» au banc des accusés
Le film «Zabana !» projeté pour la première fois à Alger
Publié dans El Watan le 30 - 08 - 2012

Peu de choses ont été écrites ou dites sur Ahmed ou Hmida Zabana, premier nationaliste algérien condamné à mort et exécuté par le colonialisme français le 19 juin 1956.
Zabana ! le nouveau film de Saïd Ould Khelifa, projeté hier à Alger pour la première fois, en présence de la presse, tente de retracer l'itinéraire de cet homme engagé tôt dans le Mouvement national dans l'Oranie. Le film débute par l'attaque de la poste d'Oran en avril 1949 par un commando de l'Organisation spéciale (OS) qui comprenait, entre autres, Bakhti Nemiche, Souidani Boudjemaâ et Ahmed Ben Bella. La scène est filmée de l'extérieur. Pas de détails sur cette opération stratégique engagée pour récolter les fonds aux fins d'acheter les armes aux nationalistes. La même année, Ahmed Zabana s'engage au Mouvement du triomphe des libertés démocratiques (MTLD) avant d'être arrêté par les Français et mis en prison.
Cela est également «survolé» dans le film dont le scénario a été écrit par Azzedine Mihoubi. Ahmed Zabana, interprété par le jeune Imed Bencheni, s'engage dans le combat libérateur dès sa sortie de prison sans que cela soit bien montré dans la fiction de Saïd Ould Khelifa. Le déclenchement de la guerre de Libération le 1er novembre 1954 est souligné à travers les manchettes de la presse coloniale qui évoque «les attaques terroristes». Ahmed Zabana lit aux villageois la Déclaration du 1er Novembre et organise les hommes avec, entre autres, Ben Abdelmalek Ramdane et Saïd Stambouli avec ce serment : «Nous jurons sur le Coran que nous ne trahirons jamais la Révolution». Il assiste à une réunion présidée par Abdelhafid Boussouf. On le voit évoluer dans les maquis vers Ghar Boudjelida dans les monts El Gaâda.
L'assaut contre la maison du garde forestier, François Braun, est montré pour «expliquer» le début de l'action armée contre l'occupation. Ahmed Zabana sera jugé plus tard pour «l'assassinat» de François Braun. En mouvement accéléré, le film raconte l'histoire d'Ahmed Zabana sans trop s'attarder sur la psychologie du personnage ou sur son environnement social ou familial. Après sa capture par l'armée coloniale, sept jours après le 1er Novembre 1954, le nationaliste est transféré vers Oran, puis vers Alger au pénitencier de Serkadji.
Là, le film prend une autre allure. Il se concentre sur le procès qui est un modèle parfait de ce que peut être la justice coloniale, la justice de la guillotine. C'est la scène la plus réussie du film. Le jugement d'Ahmed Zabana se fait par un tribunal militaire. Le combat des avocats dont celui de maître Auguste Thuveny est bien rendu. Thuveny met à nu les fausses promesses de la France coloniale sur 1945 et l'indépendance après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les avocats montrent, forts d'arguments judiciaires, que les militants du FLN ne peuvent être poursuivis qu'en tant que prisonniers de droit commun devant des tribunaux civils. «Je ne peux pas croire que la justice de la France revienne à une législation d'exception», dénoncent les défenseurs (Auguste Thuveny sera assassiné plus tard à Rabat). Le juge réplique que la loi d'urgence du 3 avril 1955 permet aux tribunaux militaires de revendiquer le jugement de certaines affaires. Les avocats rappellent les notions de résistance et évoquent «les lois» du maréchal Pétain, promulguées dans les années 1940, pour assimiler le combat contre le nazisme à du «terrorisme» (le maréchal Pétain, tête de file du régime de Vichy, soutien de Hitler, avait notamment créé des sections spéciales dans les cours d'appel pour juger les résistants). Ce rappel fait sursauter le juge :
«Pas d'amalgame !»
Le combat du jeune communiste Guy Mocquet est évoqué lors d'une discussion entre un officier et le directeur de la prison. Guy Mocquet est un symbole de la Résistance française au régime d'Hitler. Il a été exécuté à dix-sept ans, en 1941, par l'armée nazie. Le parallèle avec Ahmed Zabana, lui-même résistant à l'ordre colonial français, est vite établi. Peut-être un peu trop vite, mais c'est une manière au scénariste de mettre en avant les paradoxes qui traversaient la République français après la «grande» guerre.
Un autre combat, celui de maître Zartal, est aussi mis en valeur. L'avocat a tout fait pour éviter à son client la peine capitale. Il est même allé voir les religieux sans réussir.
Le jour où François Mitterand a dit oui à l'exécution des nationalistes algériens
Le 15 février 1956, le gouvernement français vote l'usage de la guillotine contre les révolutionnaires algériens. François Mitterrand, alors ministre de la Justice, est pour l'exécution des combattants du FLN. Idem pour Félix Houphouët-Boigny alors ministre délégué à la présidence du Conseil dans le gouvernement Guy Mollet. Pourtant ce même Félix Houphouët-Boigny sera présenté plus tard comme… l'artisan de l'indépendance de la Côte d'Ivoire dont il deviendra Président pendant trente-trois ans. Une présidence sans partage ! Pierre Mendes-France, ministre d'Etat, et Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer, Alain Savary, secrétaire d'Etat aux affaires marocaines et tunisiennes, votent contre l'exécution des nationalistes algériens. Saïd Ould Khelifa ne détaille pas ces positions politiques qui allaient être déterminantes. L'intérêt du cinéaste est ailleurs. Il refuse de trop s'éloigner de la vie carcérale, en fait les derniers jours de vie, d'Ahmed Zabana. D'où le désintérêt, même s'il injustifiable, accordé à l'attitude scandaleuse de René Coty, président de la République de 1954 à 1959, qui a refusé la grâce à Ahmed Zabana et Abdelkader Faraj, deuxième nationaliste exécuté par les Français. En tout, le colonialisme aura guillotiné 222 combattants du FLN.
Adepte connu de l'esthétisme, ému, Saïd Ould Khelifa a choisi d'arrêter le déroulement de l'histoire à la tombée de la lame de la guillotine. Pas de sang qui gicle, pas de tête qui tombe dans un panier, pas de cris d'effroi. L'émotion était déjà à son comble après avoir montré l'arrêt de la guillotine à deux reprises avant de décapiter Zabana sous les yeux horrifiés de maître Zartal. L'arrêt de la «veuve» permettait de droit à Ahmed Zabana de bénéficier d'une grâce présidentielle. Cela n'a pas eu lieu. D'où la colère de l'avocat Zartal. Les co-détenus pleurent et crient. Bref, des humains qui ont aussi peur. Poursuivre l'histoire ? Cela aurait été inutile aux yeux du cinéaste. «Un film a une durée. Il y a des choix à faire. L'histoire de Zabana s'arrête le 19 juin 1956. La légende prend le relais. On se concentre sur l'histoire d'une personne dans un film. Sinon, on se disperse», a expliqué Saïd Ould Khelifa, après la projection. Le même argument est avancé pour l'absence de toute évocation de la famille d'Ahmed Zabana mis à part une brève scène de la visite de la mère en prison. «On voulait raconter l'histoire à travers le destin d'une personne. C'est l'histoire du colonialisme qui a exécuté d'une manière illégale un militant», a-t-il poursuivi.
Selon Azzeddine Mihoubi, l'histoire racontée dans le film ne se focalise pas sur la personne d'Ahmed Zabana mais évoque les grandes étapes de sa vie, étapes symboliques de la guerre de libération nationale. «Nous avons repris ce qui est déjà écrit dans l'histoire. Des moments importants qui ne peuvent pas être évités dans le scénario d'un film tels que celui sur Zabana. Nous avons voulu, en insistant sur le jugement, condamnerle colonialisme par ses propres instruments. D'où l'évocation de Guy Mocquet. Ce film ne s'adresse pas au cœur mais à l'esprit», a expliqué Azzedine Mihoubi. Selon lui, l'idée du scénario était aussi de faire la lumière sur d'autres personnalités du Mouvement national, tel Ali Zamoum (joué par Khaled Benaïssa), et sur Mohamed Saïd Maazouzi (arrêté après les événements du 8 Mai 1945). Ali Zamoum avait passé beaucoup de temps avec Ahmed Zabana à Serkadji.
«Nous avons évoqué aussi la lettre d'Ahmed Zabana envoyée à sa famille. Une lettre remplie d'humanisme. Tout le film est bâti sur des faits réels. Nous n'avons pas faire appel à la fiction sauf dans une certaine marge artistique», a-t-il souligné.
Servi par une musique élaborée et intelligente de Michel Wintsch et des images soignées de Marc Koninckx, Zabana ! est un film est à voir sur plusieurs niveaux. Les liens forts avec l'histoire immédiate de l'Algérie, la proximité inévitable avec les tourments de la politique et la complexité «simple» du personnage d'Ahmed Zabana, le héros inconnu, font de ce long métrage un film un condensé d'émotions et d'invitation à une nouvelle réflexion sur l'histoire contemporaine de l'Algérie. «S'il n'y a pas d'émotion, il n'y a pas de cinéma. Et émotion ne signifie pas manipulation. Nous voulions rester dans le témoignage par rapport à l'époque. Lorsque les jeunes avaient entamé la Révolution, il n'y avait pas de grades. Ils étaient tous des civils. Donc, nous n'allons pas réécrire l'histoire. Nous ne sommes pas des historiens», a relevé Saïd Ould Khelifa.
Zabana ! est film qui évoque la guerre sans la montrer réellement, qui plonge dans le milieu carcéral colonial sans approfondir sa dureté. En témoignent les rares images de torture systématisée par l'ordre colonial. Mais Saïd Ould Khelifa a réussi à provoquer quelque chose qui était inexistante dans le cinéma lié à la guerre de Libération : les héros nationalistes sont des hommes faits de chair et d'os, qui réagissent, qui ont peur parfois et qui se disputent en prison à cause d'une cigarette… Ils ne sont pas idéalisés jusqu'à en faire des statues. C'est peut-être le début d'une autre manière d'aborder sur le plan cinématographique le colonialisme en attendant que tout soit dit sur la guerre de libération nationale, sans les mensonges habituels, les vérités sur faites et les schémas réducteurs.
Dans Zabana !, un petit procès est fait au messalisme à travers la réaction d'un Ahmed Zabana réagissant à la réflexion d'un fidèle de Messali Hadj qui dénonce «la propagande» du FLN.
Messali Hadj fera-t-il l'objet d'un film algérien, librement abordé ? La question sera toujours posée.
Coproduit par la société Laïth Média de Yacine Laloui, l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et le Centre national d'études et de recherches sur le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre, le film Zabana ! de Saïd Ould Khelifa sera présenté en avant-première, ce soir, à la salle El Mouggar à Alger, en présence du réalisateur, du producteur et des comédiens.
Pour rappel, Saïd Ould Khelifa, journaliste, critique de cinéma et metteur en scène de théâtre, a réalisé déjà trois films : Ombres blanches (1991), Le Thé d'Ania (2004) et Vivantes (2006). Zabana ! sera présent à partir de la semaine prochaine au Festival international du film de Toronto, au Festival international de Dubaï aux émirats et au Festival d'Oran du film arabe en décembre prochain.


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