Dans cet entretien, ce grand spécialiste du pouvoir d'achat des ménages aborde la question de l'évolution des prix et des salaires en Algérie. Liberté : Pensez-vous qu'il y a dégradation du pouvoir d'achat en Algérie ? Hamid Bali : Le pouvoir d'achat du salaire n'a cessé de se dégrader surtout depuis les années 90, en particulier après la mise en place du programme d'ajustement structurel et la libéralisation des prix qui s'en est suivie ainsi que la levée du soutien des prix par l'état. Il y a lieu de s'arrêter quelque peu sur ce concept galvaudé dans tous les sens. Comment mesurer cette dégradation du pouvoir d'achat de la majorité des Algériens ? Effectivement. Le pouvoir d'achat du salaire peut être défini comme étant la quantité de biens et de services que l'on peut acheter avec une unité de salaire. Son évolution est liée à celles des prix et des salaires. Autrement dit, le pouvoir d'achat correspond à ce que permet d'acheter un revenu salarial donné. Les ménages concentrent leur attention sur l'évolution des prix de quelques produits spécifiques (produits alimentaires en particulier les fruits et légumes, tabac, loyer et charges, certains services : transport, ceux qui se ajoutés récemment comme la téléphonie mobile, les frais de raccordement à Internet, les loisirs incarnés notamment par les prix des voyages à l'étranger, les soins aux ménages, etc.) pour se faire une opinion sur l'évolution générale des prix et de l'inflation en particulier. Mais aucun bien manufacturé n'est pris en compte dans la perception des ménages de l'évolution du pouvoir d'achat, alors que ces produits représentent une part appréciable de leur budget de dépense de consommation. L'effet “qualité" n'entre pas en ligne de compte dans l'appréciation de la hausse des prix en Algérie, eu égard au climat de pénurie planant sur le marché des biens et services. On peut observer aussi une déconnexion entre l'inflation effective et l'inflation ressentie par les ménages. Comment expliquez-vous cette détérioration du pouvoir d'achat ? L'évaluation du pouvoir d'achat est difficile et complexe, car elle doit tenir compte à la fois des prix et des revenus salariaux. Si pour les premiers l'indice des prix à la consommation, malgré ses insuffisances, peut être retenu comme un indicateur acceptable de l'évolution de la dépréciation de l'unité monétaire ; pour les revenus par contre, leur diversité, voire leur pluralité au sein du ménage ainsi que la variété de leur imposition n'assurent pas une mesure exacte de la détérioration du pouvoir d'achat. L'évolution du pouvoir d'achat dépend de celle des prix et des salaires. La tâche de leur comparaison n'est pas aisée, surtout que ces derniers divergent souvent de façon différenciée. Ainsi lorsque les prix augmentent alors que les salaires restent constants, le pouvoir d'achat diminue. Inversement, il augmente avec une hausse des salaires supérieure à celle des prix. Les données officielles sur le pouvoir d'achat des ménages sont-elles fiables en Algérie ? Les méthodes d'évaluation du pouvoir d'achat des ménages font l'objet d'âpres débats entre les représentants des syndicats et ceux des employeurs (aussi bien publics que privés). De plus en plus, on envisage dans certains pays à calculer des indices des prix différenciés par catégories sociales ainsi que le coût du logement dans les indices “officiels". En effet, la prise en compte de l'hétérogénéité des structures de consommation nécessite la modulation des données statistiques globales qui ne prennent pas en considération les comportements de consommation de chaque catégorie sociale. L'indice des prix à la consommation est une moyenne pondérée, et en tant que tel, il ne reflète pas correctement la réalité qu'il veut décrire. On sait qu'une moyenne n'a de sens que s'il n'y a pas de grands écarts entre les valeurs extrêmes. à titre d'exemple, nous citerons le cas de la température moyenne pour un pays donné. Dire que la température moyenne en Algérie est de 25°C en été n'a aucune signification pour l'habitant de Aïn Salah et de celui qui habite au sommet du Djurdjura. Comment est perçue cette dégradation du pouvoir d'achat par les classes sociales ? Ainsi, l'inflation (hausse des prix) n'est pas la même pour tout le monde. Tout dépend des produits que chaque consommateur achète, selon ses préférences et ses moyens, des points de vente où il les achète, de son lieu de résidence. Le pouvoir d'achat d'un ménage modeste est bien entendu inférieur à celui d'un ménage aisé. Mais la croissance du pouvoir d'achat peut, suivant les périodes, être plus forte ou moins forte pour les ménages modestes que pour les ménages aisés. La répartition des revenus joue un rôle primordial dans le ressenti de la baisse du pouvoir d'achat. On peut affirmer que le pouvoir d'achat dépend de l'évolution de deux facteurs : le revenu disponible brut et l'inflation. Nous exposons dans le tableau ci-dessous l'évolution du pouvoir d'achat exprimé en termes de temps du SMIG afin de mieux saisir la relativité de sa dégradation. Le SMIG est passé de 1,36 DA/h en 1970 (année d'unification du salaire minimum) à 103,84 DA/h en 2010, soit une multiplication de 76,35, alors que les prix de certains produit ont connu des coefficients de multiplication beaucoup plus élevés (orange, viande ovine...) Les chiffres parlent d'eux-mêmes, sauf peut-être ceux de la viande ovine et du poulet, plus les premiers augmentent, plus les seconds diminuent en tant que produit de substitution. Nous venons, aujourd'hui, de faire le constat, nous promettons de revenir plus longuement plus tard sur les causes profondes de cette situation et surtout sur les remèdes à appliquer pour en sortir. S. B. *Professeur émérite ès-sciences économiques et management à l'université de marne-la-vallée (france).