C'est un commerce des plus juteux, aussi bien pour les importateurs nationaux que pour les fournisseurs étrangers, en raison de la forte demande locale. Ils sont seulement 4 a 5 opérateurs à importer la banane pour toute l'Algérie. Ils interviennent par navires entiers, des bananiers spécialement aménagés pour le transport de ce délicat fruit qui, à lui seul, symbolise toute l'évolution qu'a connue notre système économique, passant du verrouillage administratif à la libéralisation commerciale, entraînant les prix de la banane de 400 da à 70 da le kg du jour au lendemain, à la faveur de la révision tarifaire et de la disparition de la valeur administrée. Au grand bonheur des Algériens trop longtemps privés de ce fruit exotique. Le renversement de la tendance, passant de l'ère de la privation à l'inondation du marché, est pourtant le fait insoupçonné d'une poignée d'importateurs lancés à la conquête de la banane sur les lieux même de sa naissance, balayant sur leur chemin toute intermédiation. Plus de 90% de bananes qui entrent en Algérie arrivent directement de l'équateur pour atterrir à La Mitidja, entre Boufarik et Blida, où se concentrent nos importateurs. Nous avons essayé de comprendre les mécanismes de cette importation spéciale, en ce sens où il s'agit d'un produit sensiblement périssable, mais qui reste quand même, de l'avis de certains connaisseurs, un marché juteux qui dicte, cependant, un préalable de professionnalisme et un minimum de logistique en moyens de réfrigération, avec en plus d'énormes capacités financières. À cela, il faut ajouter le facteur concurrence féroce qu'il y a sur ce marché entre ce nombre pourtant réduit d'importateurs qui “ne parviennent pas à s'entendre pour assurer la régulation du marché et la sauvegarde d'un minimum d'intérêts communs”. Les enjeux sont énormes, tant l'Algérie est devenue un marché “très intéressant pour ce produit et ce, malgré l'importance de la distance qui sépare le pays des sources d'approvisionnement latino-américaines”. Mieux encore, souligne un importateur qui a requis l'anonymat, “il n'y a qu'en Algérie où des navires entiers de bananes sont déchargés en totalité pour repartir vides au grand bonheur des vendeurs étrangers et bien sûr des armateurs”, alors qu'en général un bateau de bananes fait le tour de plusieurs ports de différents pays pour écouler progressivement la marchandise. Cela confirme l'étendue du marché algérien qui est en passe de devenir “une destination stratégique des vendeurs étrangers”. Comment peut-on contrôler un aussi vaste marché quand on n'est que 4 à 5 importateurs, comme le soulignent nos sources très au fait de ce dossier ? Quel est le prix réel de la banane et qui sont ces traders européens ayant pignon sur l'Algérie ? À combien se chiffre une importation et quelle est la part du fisc ? À l'heure où nous rédigeons cet article, il y a quatre navires chargés de bananes au port d'Alger ou en rade, selon nos sources qui indiquent qu'“ils appartiennent à deux opérateurs”, et c'est justement en augmentant le nombre de rotations sur les commandes par “cargaisons homogènes, des navires entiers d'une moyenne de 3 000 tonnes, que l'on arrive à inonder le marché”. Parfois, sur chaque navire, il y a des associés insoupçonnés qui s'investissent dans l'opération pour tirer des dividendes inestimables. Ce sont des industriels fortunés ou de simples hommes d'affaires qui ne “comprennent rien au marché de la banane, mais qui retiennent surtout que c'est une source sûre de revenus. Alors, ils y mettent le paquet en acceptant de cofinancer, sans pour autant laisser apparaître leur nom”. Normal, puisque dans notre enquête, nous avons découvert que la banane est un produit jamais facturé et donc, malgré le professionnalisme que nous avons relevé chez certains, l'option de l'anonymat reste de mise et devient une question de survie commerciale au risque de disparaître du marché. “Ou on paie tous nos impôts ou on procède tous de la même manière”, tant la contrainte fiscale est lourde, laisse-t-on entendre. L'importateur se trouve face à un dilemme de taille : s'il déclare légalement ses importations de la banane, il risque d'être emporté par la tempête de la concurrence déloyale et voir son produit invendu. Pis, s'il fait obligation de facturation, son produit sera tout bonnement boudé et mis sous embargo par les revendeurs domestiques. En clair, en l'état actuel des circuits de ce produit, l'importateur ne peut récupérer la TVA qu'il paye à la source de l'importation, c'est-à-dire au niveau de la déclaration douanière qui ressort sur le D10, document attestant de la formalité douanière. À titre illustratif, une importation moyenne de 50 000 colis (chaque colis représentant 18 kg) coûte 350 mille dollars si la marchandise est livrée jusqu'au port d'Alger. Sur cette importation, l'importateur paie 7 millions de dinars au titre de la TVA prélevée au dédouanement. Mais si l'importateur accepte de jouer le jeu de la transparence, il devra payer le prix et prévoir un autre effort de prélèvement fiscal de l'ordre de 2 da supplémentaire au kg de banane. Devant la quasi-impossibilité de recouvrer sa TVA, l'opérateur est soumis au terrible recours à la fausse déclaration. Soit sur le prix réel d'achat auprès du fournisseur, soit par la minoration sur le poids et quantités importées. Et c'est à ce niveau que la concurrence fait rage et se révèle par des pratiques de prix domestiques frôlant parfois le dumping. Autre interrogation puisée de ce terrain : pourquoi des importateurs domiciliés à Alger par exemple choisissent de faire réceptionner leurs cargaisons par des ports de l'ouest ou de l'est du pays ? D'autant que leur marchandise réceptionnée à l'Est comme à l'Ouest se retrouve ensuite au Centre, donc transportée à coups de frais supplémentaires et en restant curieusement compétitives. D'autres sources nous ont indiqué que le port d'Alger est pratiquement “difficile, notamment par le contrôle douanier, contrairement à certains ports où il semble facile de manœuvrer. Sinon comment expliquer cette architecture illogique d'acheminement de la marchandise”. Un autre professionnel fait observer : “Aujourd'hui, l'Etat doit songer à instaurer des licences sur l'importation de ce produit, et il appartiendra à chaque importateur de tracer son programme global et payer ainsi en conséquence sa quote-part réglementaire. Nous sommes favorables à ce contingentement et demandons à ce que nous soyons soumis à l'impôt à la source de l'importation afin d'être tous sur un pied d'égalité et la concurrence n'en sera que plus respectée. Si je veux dépasser mon programme par exemple, je serai tenu, en vertu de la licence, de payer un supplément de droits à l'Etat et tout le monde trouvera son compte.” Notre interlocuteur revendique une discipline de marché pour la sauvegarde des réserves de changes de l'Algérie. A. W. La Dole, la reine du marché Entre toutes les marques, le consommateur apprend à apprécier la qualité et à en être fidèle. Première à l'affiche, la marque Dole, classée première catégorie sur les marchés internationaux, qui nous arrive sans intermédiaire directement de la source équatorienne est fortement appréciée pour ses goûts et calibres. À l'opposé, Adria est une autre marque contrôlée par des traders italiens qui font l'intermédiaire entre ce produit et l'Algérie entre autres. Elle a tendance à se raréfier sur le marché algérien en raison des difficultés financières apparues au niveau de la maison mère à l'instar de la Chiquita. Le terrain a été cédé aux autres sous-marques “concoctées” par les revendeurs spécialement aux Algériens, tout comme Nabila improvisée à la demande d'un acheteur algérien répondant au prénom de Nabil. La même banane arrive en fait sous plusieurs appellations, puisqu'elle est essentiellement fournie par la même maison européenne, placée en intermédiaire. Celle-ci s'appelle Comaco. On retrouvera les autres marques comme Fruit d'or etc., sans omettre La Favorita contrôlée quant à elle par les Espagnols. Depuis la libéralisation du marché, il faut relever que les importateurs algériens ont réussi à s'imposer sur la place internationale, puisque certains d'entre eux ont évacué et bousculé toute intermédiation. Plus de place aux conteneurs, on ne parle plus que de navires. Ce qui laisse sur leur faim bien des traders français, jadis intervenant à partir de Marseille. A. W.