Le livre, comme voulu par son auteur, porte essentiellement sur des questions fondamentales auxquelles l'historien tente d'amener des éléments de réponse en toute objectivité. “La question de l'organisation spéciale de la Fédération de France était-elle une organisation civile ou militaire ?" La mémoire des combattantes et des combattants apporte des éclairages, mais aussi rend visible le parcours des uns et des autres en s'inscrivant dans un cadre historique qu'il serait utile et urgent d'intégrer dans l'enseignement. Pour les membres de la Spéciale, il n'y a pas de doute, “ils étaient des djounoud de l'ALN". Mais comment accomplir son travail sans émousser l'histoire ; comment contourner les mémoires qui font appel à la vendetta, au règlement de comptes, même post mortem ? Un tas de questionnements qui aideraient le lecteur à s'inscrire dans une position d'objectivité. Daho Djerbal révèle des contradictions et des conflits que l'on peut observer et dans lesquels les acteurs se trouvent parfois pris à leur insu. Le livre a fait parler des témoins-acteurs de la Fédération de France du FLN. Plusieurs mémoires, plusieurs points de vue contribueront sans doute à redéfinir le cadre historique où des femmes et des hommes ont combattu sur le sol de l'ennemi pour l'indépendance de l'Algérie. Ainsi, évitant tout dérapage verbal, l'historien nous livre l'argumentaire individuel de chaque acteur, en nous rappelant des critères – psychosociologiques, anthropologiques – rarement évoqués auparavant par les historiens. Moussa Kebaïli, témoin-acteur, sous les ordres d'un certain Hassani, dévoile les conditions téméraires qu'il fallait supporter ainsi que l'audace qui nourrissait le vœu et l'exploit de créer un réseau FLN solide, allant jusqu'à soudoyer intelligemment, à la limite de la reconversion, des membres du MNA, avant de passer à d'autres méthodes beaucoup plus musclées. “La lutte fut très difficile au début car il était difficile d'admettre qu'un Algérien tue un autre Algérien", divulgue le témoin historique. Le contrôle de l'organisation verra à sa tête les responsables du MTLD, mais l'auteur remonte aux origines du 1er Novembre et à la constitution du FLN, avant de démonter les tenants et les aboutissants de ce “chassé-croisé de responsables de toutes tendances" qui s'affairent à “hériter de la structure de la Fédération de France du MTLD". L'effectif des militants constituant le noyau embryonnaire de l'Organisation était insignifiant du point de vue quantitatif ; “deux cents militants sur une dizaine de milliers que compte le MTLD en France, voilà tout ce sur quoi repose le FLN en France". L'auteur relève néanmoins des divergences de points de vue dans ses recoupements et son analyse. Il décortique les mémoires des uns et des autres. “Le seul point de désaccord avec le témoignage de Moussa Kebaïli, c'est que Ali Haroun attribue la fuite non à Yacef Saâdi mais à Terbouche lui-même qui aurait été arrêté à la frontière suisse à son retour d'une rencontre avec Boudiaf" entre autres. De vraies femmes de combat ont dû se soumettre à de dures épreuves avant de se faire admettre au sein de l'organisation : Zina Haraïgue témoigne du conflit FLN-MNA qui verra sa “région [Saint-Etienne/Firminy] basculer du côté FLN et les messalistes émigrer vers le Nord." Etudiants de l'Ugema, intellectuels... font face aux tirs croisés du MNA et de la police française. “Harbi relance le débat dans l'organisation clandestine elle-même" quant à la relation entre l'organisation étudiante et la direction du FLN en France. Boulahrouf et Ladlani chercheront à gagner la confiance et la sympathie de la population émigrée sachant que le milieu ouvrier français dans lequel ils étaient immergés n'a toujours pas adopté, voire même a refusé le principe de l'indépendance de l'Algérie. Ben M'hel et Boulahrouf lancent l'Action, bulletin œuvrant dans son édito pour une alliance populaire et estudiantine telle que voulue par Abane Ramdane. Les mouvements de gauche et d'extrême gauche “ouvrent leurs portes aux réfugiés FLN et Ugema en Belgique", mais, en même temps, se pose la question du mode de direction de la structure politique. De la direction collégiale prônée par Harbi à celle plus autoritaire d'Omar Boudaoud doté des pleins pouvoirs (1957) par Abane et le CCE. Reconnaissance au combat des femmes et des hommes souvent anonymes, pour les générations post-indépendance. Pour ces militants engagés, le principe cher à Ben Mhidi et à Abane doit être avant tout “une révolution populaire menée par une élite intransigeante". Pour Rabah Bouaziz qui reprend en main les groupes de choc lancés auparavant par Doum et Souici “l'action armée amènera le gouvernement français à négocier avec le FLN". Toutefois, l'acte de naissance de l'OS suscite des divergences. Pour Aït Mokhtar et Aïssaoui, sa création remonte à fin 1956. Les méthodes du PPA seront reconduites ainsi que l'insertion dans un mode de vie à l'européenne pour passer inaperçu. “Il est même recommandé de fumer et de boire de l'alcool alors que les interdictions pesaient de tout leur poids sur le reste de la communauté", témoigne Ben Saddok. Comment se démarquer massivement de la politique dite “la 3e voie", imposer la voie tracée par Abane et le CCE ? L'attentat contre Ali Chekkal fait l'effet d'une déflagration qui retentit à l'échelle internationale, le 26 mai 1957. Ben Saddok réussit l'exploit, et “l'objectif recherché par les dirigeants de la révolution est enfin atteint". On y saura l'apport de Farès Abderrahmane et le réseau Aboulker dans les renseignements. Après la vague de répression et d'arrestations, l'OS sera renforcée par Aït Mokhtar, Benadouda. Des actes de sabotage sont minutieusement étudiés à Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, etc. Selon un découpage en régions attribuées selon l'importance géographique. Ainsi, des éléments plus aguerris, parmi eux des femmes, la renforcent. La plupart d'entre eux vont suivre un stage de “commando" au Maroc avec une plus grande efficacité. Plus de droit à l'erreur. Des hommes et des femmes se sacrifient pour la cause algérienne dans les réseaux de soutien (Jeanson, Curiel, Davezies...), ainsi que des anonymes “victimes d'une conspiration du silence." L'auteur cherche dans leur origine sociale, géographique, familiale... Il écoutera les femmes de la Spéciale. Celles qui ont pu livrer leurs témoignages. Certaines parmi ces femmes engagées n'ont malheureusement pu être enregistrées. Elles ont toutes subi les avanies qui stimulent le combat. Même profil chez les femmes comme Zina Harraïgue dont le père était un résistant de la Première Guerre mondiale, ou Aïcha Aliouat qui découvre la ségrégation dès l'âge de 6 ans. Ce qui, d'ailleurs, les incite à se démarquer des autres enfants pour une véritable quête identitaire. Mais Taleb Ahmed résume bien cet état de fait “avant de coexister, il faut d'abord exister" (cité par l'auteur). Un second front est enclenché au mois de juillet 1958 à Cologne en présence d'Omar Boudaoud, Saïd Bouaziz, Ali Haroun, Kadour Ladlani et tous les chefs de région. “Levant la séance le 25 juillet, ils en fixent le déclenchement au 25 août 1958 à 00 heure." Divergence et désaccord ; Harbi, qui se voit éloigné de la commission presse-information, sachant que Abane est assassiné et découvrant d'autres dysfonctionnements, sera “virtuellement démissionnaire de son poste au comité fédéral car le communiqué concernant les événements du 13 mai 1958 qu'il a rédigé en sa qualité de responsable à la presse et à l'information a été désavoué par Ferhat Abbas et Lamine Debaghine". L'OS passe à l'offensive avec la série d'explosions pour faire beaucoup plus de bruit que de victimes. “Le FLN et l'OS pouvaient frapper partout, y compris au cœur même du dispositif de sécurité français." La répression de la police française est sans limite. Beaucoup de militants sont mis hors de combat. On dénombrait les victimes par centaines. Antoinette (Yamina) Idjeri témoigne des scènes de torture et de la gégène. “Les policiers m'ont allongée sur un canapé et m'ont branché les fils autour des doigts, des orteils et des oreilles. Ils actionnèrent l'appareil à plusieurs reprises." Horrible ! Les affaires judiciaires donnent un retentissement politique. Slimane Madadi, auteur de l'attentat contre le sénateur Benhabyles témoigne : “Je suis un militaire, un soldat de l'ALN combattant sur le sol français, et ce sont les circonstances qui ont fait que je combatte ici et non en Algérie." Me Oussedik se lève et lance en kabyle à Slimane : “Tu es un homme!" Quant au brigadier blessé, il ajoute : “Je rends hommage à cet homme car, grâce à lui, je suis encore en vie (...) Je lui rends hommage, c'est un homme. Moi, j'ai voulu l'empêcher de fuir ; c'était mon devoir ; j'ai voulu le tuer, mais lui a préservé ma vie." “Parallèlement aux prétendues ouvertures du général de Gaulle en direction de l'ALN, se développe du côté français une stratégie dont l'aspect principal est de préparer le terrain à une indépendance de l'Algérie dans la dépendance." Pour de Gaulle, tous les moyens sont bons pour harceler le FLN et détruire sa branche armée, l'ALN. Effectif renforcé ; “800 000 hommes, 700 colonels, 200 généraux". Le projet de “la paix des braves" tout comme le plan de Constantine visent à dérouter le peuple. Fin 1960, la Main rouge, le Sdece (service d'espionnage et de contre-espionnage), aidés par les harkis, les hommes du capitaine Montaner sous les ordres de Papon, ciblent le FLN : “119 000 contrôles en un an, arrestation de 848 collecteurs de fonds, 541 membres de groupes de choc, 400 responsables de l'OPA, 9 chefs de zone, 1 chef de super-zone, 2 chefs de wilaya." En Belgique, en Allemagne, les services d'espionnage ne font aucun quartier. La même spirale emportera les réseaux de soutien. Les successifs coups de filet rendent toute tâche difficile aux survivants rescapés de la FF-FLN. La crise de l'été 1959 marque une ère nouvelle à laquelle il faut faire face. Bentobal, Krim, Benkhedda et Boussouf croient que de Gaulle veut triompher par les armes. Abbas, Francis, Mehri et Yazid considèrent qu'une ère d'ouverture commence. Seul Lamine Debaghine réfléchit politiquement en analysant la politique extérieure de la France coloniale (Syrie, Viêtnam, Tunisie, etc.). Viennent d'autres ébauches de négociation comme celle du “20 février 1961 engagée à Lucerne par Ahmed Boumendjel, Tayeb Boulahrouf d'un côté et Georges Pompidou, Bruno de Leusse de l'autre." L'intention des deux parties n'était pas la même. “Négocier, certes, mais non sans avoir réduit à sa plus simple expression le potentiel de résistance du peuple algérien et de son bras armé, en France comme en Algérie." Des révélations font apparaître qu'“une partie non négligeable de l'élite musulmane s'était engagée contre l'indépendance, en faveur de l'intégration" (cité par G. Pervillé). L'auteur interroge tous les acteurs mentionnés pour apporter des explications aux tergiversations du réseau Jeanson et le passage de ses éléments au réseau Curiel. La mobilisation de la jeunesse “Jeune résistance" et “la Nouvelle gauche" maintiennent le cap. En outre, les actions engagées par la JR, infiltrée par des éléments de la IVe internationale, créent certaines dissensions entre les rescapés des réseaux. Ce qui, au bout du compte, dissuade le FLN qui trouvera soutien chez des électrons libres, loin des réseaux reconvertis. Ironie du sort, les femmes combattantes connaîtront le mépris des frères à Oujda comme à Tunis. Elles subiront le régionalisme et les expressions tribales mues par une mentalité féodale des “frères" qui ne voient en elles que des “bonnes à marier." Même les prisonniers – parmi eux des condamnés à mort – une fois libérés, y seront déçus. Pour eux “le cessez-le feu ne signifie pas la paix retrouvée et la liberté pour tous". Finalement, une fois l'indépendance acquise, les femmes et les hommes de l'OS FLN ont eu droit à un régime spécial : “Tous finiront par découvrir qu'ils appartiennent non au parti des vainqueurs mais à celui des vaincus." Chacun y trouve ici son histoire, son valeureux apport et sa considérable contribution à la cause algérienne. Ces acteurs reprennent leur place avec tous les honneurs. Et leurs témoignages serviront de leçons aux jeunes générations. Ainsi, cet ouvrage pourra désormais être d'un apport considérable à la lecture et l'écriture de l'histoire, une référence aux étudiants, chercheurs et historiens. L B.