Pourquoi est-ce que le lecteur algérien se réconcilie, de plus en plus, avec le roman ? Un nouveau vent souffle dans le ciel des amies et des amis des lettres. Appuyé sur les restes de quelques traditions de la classe moyenne, le roman algérien en langue française a un certain lectorat. Ainsi, dans le milieu de ce groupe socioculturel, même modeste, le roman constitue une sorte d'attente littéraire, une curiosité intellectuelle. Mais ce qui est nouveau et remarquable, ces derniers temps, c'est ce bon accueil réservé au roman algérien de langue arabe. Cette lecture arabophone montante d'un côté s'est vue suivie d'une chute de la lecture du livre religieux propagandiste, de l'autre côté. Sociologiquement parlant ce comportement livresque est un phénomène historique. La vérité est dans le roman. La vérité littéraire est philosophique, si vérité y existe. Si la vérité mensongère du roman est libératrice pour l'imaginaire, la vérité historique est proportionnelle et moralisante. Parce que le livre historique proposé à nos lecteurs, dans nos écoles et dans nos universités, n'est que le miroir renvoyant l'image de l'idéologie dominante du système depuis cinquante ans, les Algériens se libèrent dans le roman. Se réfugient, de plus en plus, dans le bon roman. Même ces mémoires écrites par quelques responsables politiques ne sont qu'une forme de règlement de compte ou d'éloges sans bords à un ego sans fond. Et parce que l'exception affirme la règle, je vous propose de lire les mémoires de Mohamed El-Mili intitulés "Souvenirs du temps d'innocence" (Moudhakkirat zamane al baraâ) paru chez Casbah éditions 2012. Les mémoires de Mohamed El-Mili apportent un courage dans l'écriture sur soi. Il n'y a ni ange ni prophète dans le politique. Seul le diable habite la politique ! Le lecteur algérien arabophone ne cherche plus des réponses qui l'enferment dans l'illusion de la vérité religieuse absolue. Il entreprend un nouveau parcours, une autre phase débute. Il se trouve, de plus en plus, irrité, agacé devant les donneurs de leçons. Tiraillé par des chouyoukhs controversés dont les prêches sont étranges voire maladifs, l'algérien prend, de plus en plus, sa distance vis-à-vis de tout discours religieux hypocrite, haineux et absurde. De plus en plus, le lecteur algérien boycotte le discours religieux qui condamne le rêve et célèbre le pessimisme et le passéisme. L'Algérien ne veut plus de livres qui lui proposent des réponses préfabriquées, il est reparti à la recherche des livres qui le mettent face à des questions embarrassantes. Et les grandes questions on ne les découvre que dans les bons romans. Le bon roman est un texte contre toute quiétude paresseuse. Il sème des tourbillons féconds et ininterrompus dans la tête tranquille du lecteur ou supposée ainsi. Le bon roman dérange l'inertie. Il réveille le mort qui habite le vivant ! Avec le texte religieux fanatique le lecteur se trouve soumis, langue découpée. Le bon roman lui fait apprendre l'art de l'insoumission. Si le livre moralisateur et pseudo-historique place le lecteur dans une leçon froide d'un vivant-mort décomposé, le roman de son côté, le bon roman lui inculque les valeurs de la liberté, les mensonges-vrais tout en lui ouvrant les frontières vers la dénonciation et le questionnement. A. Z. [email protected]