Même si d'importants moyens de redistribution de la rente ont été mobilisés pour réduire les inégalités sociales (et maintenir une certaine paix sociale), l'Algérie n'est pas ce pays égalitaire que nous font miroiter les largesses de la manne pétrolière. Cette redistribution tous azimuts cache en réalité une organisation sociale source d'inégalités profondes. L'échec de la redistribution de la rente à corriger les inégalités tient à de nombreux facteurs, notamment à l'absence d'une politique orientée vers le développement des capacités des individus. En effet, la pauvreté ne provient pas du fait de disposer d'un revenu insuffisant pour vivre décemment, assumer ses besoins et réaliser ses projets. Un revenu bas n'est qu'une conséquence d'un mal plus profond à l'origine de la pauvreté. Etre pauvre c'est avant tout ne pas disposer des capacités nécessaires pour améliorer ses conditions. Pour le comprendre simplement, il suffit de reprendre le fameux adage chinois “quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner du poisson". En d'autres termes, celui qui sait pêcher aura acquis la capacité de subvenir lui-même à ses besoins. On peut aller plus loin dans l'exploitation de cet adage. Au-delà d'être capable de se nourrir par ses propres moyens, celui qui sait pêcher est certainement dans un tout autre état d'esprit : il aura envie d'innover pour améliorer sa technique de pêche, il aura certainement l'idée de transformer son poisson pour en faire des produits à plus forte valeur ajoutée, ce qui ne manquera pas d'entraîner l'émergence d'autres activités et la création d'emplois, etc. L'un est piégé dans l'assistanat, tandis que l'autre voit le champ des possibilités s'étendre à la fois pour lui et sa communauté. Malheureusement, en Algérie, on se contente de distribuer le poisson, alors que les Chinois augmentent leurs capacités en venant construire nos routes, nos maisons et bientôt nos mosquées. Ces mosquées dans lesquelles nous irons prier Dieu pour qu'Il améliore nos conditions de vie. Dans un prochain article, nous discuterons plus largement les inégalités à travers cette notion de “capacités" pour en comprendre toutes les sources. Nous souhaitons ici, dans la continuité des travaux de Nabni, nous concentrer sur l'éducation qui est un facteur majeur du développement économique et des inégalités sociales. Un système éducatif qui a permis une généralisation de l'accès à l'éducation, mais qui demeure peu efficace... L'Algérie a réussi en un temps limité à généraliser l'accès à l'éducation. En 20 ans, le taux d'accès au primaire est passé de moins de 85% à la fin des années 1980 à plus de 97% en 2011. L'effort budgétaire pour atteindre ces résultats a été conséquent et demeure élevé. Les dépenses nominales consacrées à l'éducation ont quasiment doublé entre 2000 et 2006, passant de 224 milliards de dinars à 439 milliards. Leur croissance est d'un peu moins de 40% en termes réels. En pourcentage du PIB, avec une moyenne de 4,34% sur la période 2007 – 2009, l'Algérie est dans la moyenne des pays à revenu intermédiaire. Rapportée aux dépenses totales de l'Etat, la part du budget de l'éducation atteint 20,27% sur la période 2007 – 2009. Cependant, cet effort budgétaire masque une grande inefficacité du système éducatif. Autrement dit, le pays aurait pu faire autant avec des moyens plus faibles. Le coût d'un diplômé de l'enseignement supérieur rapporté au PIB par tête s'élevait à 581% en 2010, alors qu'il n'était “que de" 203% en Tunisie et 180% en Egypte (à noter que dans les pays de l'OCDE ce taux ne dépasse pas 50%). Un calcul “de coin de table" nous permet d'imaginer les économies que nous pourrions réaliser si nous améliorions l'efficacité de notre système éducatif : en ramenant le coût par diplômé à 400% par exemple, l'économie budgétaire s'élèverait à près de 2 milliards de dollars par an (un budget que l'on pourrait consacrer à renforcer nos capacités d'innovation, acquérir de nouvelles technologies par exemple). ... et générateur d'inégalités importantes Les inégalités sont de différentes natures. Il y a tout d'abord des inégalités régionales très fortes qui témoignent d'un effort mal réparti sur l'ensemble du territoire. Les disparités régionales sur le plan des taux de réussite au primaire et au premier cycle du secondaire sont assez prononcées. Les performances des wilayas sont plus disparates au primaire (de 50% à 75% de taux de réussite) qu'au premier cycle du secondaire (de 37% à 50% de taux de réussite). Pour le baccalauréat, en 2009, les taux de réussite allaient de 18,94% à Laghouat à 58,99% à Tizi Ouzou. En 2006, le taux de succès à l'examen du BEM s'élevait à 77,11% à Souk Ahras et à seulement 28,63% à Tamanrasset. On observe par ailleurs des disparités très fortes entre le milieu rural et le milieu urbain : le taux atteint 70,3% en milieu urbain et 54,4% en milieu rural. Alors que les dépenses sociales occupent une large fraction du budget consacré à l'éducation, les inégalités sociales pèsent lourdement sur la scolarité des enfants des familles les plus défavorisées. Seulement 44,1% des enfants des familles les plus démunies ont accès au cycle secondaire, contre 82,3% pour les ménages les plus aisés. La proportion des individus sans niveau d'instruction parmi les 20% de ménages les plus pauvres s'élève à 38,3%, contre 11,6% auprès des ménages plus aisés. Enfin, seulement 9,2% des individus des ménages les plus pauvres ont un niveau d'éducation secondaire ou universitaire, alors que ce taux atteint 42% pour les ménages les plus aisés. Au final, notre système éducatif ne parvient pas à corriger les inégalités initiales en termes de revenu ou de capital humain des parents. Un système éducatif qui distribue le poisson, mais qui ne parvient pas à doter les étudiants d'un réel capital humain... Selon les données disponibles et l'avis des spécialistes de l'éducation (nationaux et internationaux), la qualité du système éducatif algérien est des plus médiocres. L'Etat n'a malheureusement pas jugé utile de mettre en place des outils d'évaluation de la qualité de notre système éducatif. Nous disposons toutefois de résultats à quelques tests internationaux qui témoignent d'une très faible qualité du système éducatif. Le TIMSS est un test international en sciences et en mathématiques qui permet une comparaison internationale, auquel l'Algérie a participé. En sciences, les élèves de 4e année ont obtenu des résultats très médiocres (tout comme les élèves marocains et tunisiens). Seuls 2% des élèves atteignent le niveau II, alors qu'on atteint 68% pour Singapour ou 44% pour l'Italie. Seulement 33% des élèves atteignent le niveau IV alors qu'on atteint des taux dépassant 90% pour les pays de l'OCDE. Les performances des élèves de 8e année, sans surprise, sont également médiocres en sciences, et l'Algérie performe moins que d'autres pays à revenus comparables. Alors qu'à peine 1% des élèves atteignent le niveau II, ce taux est de 4% pour l'Indonésie, 4% pour la Tunisie par exemple. Le taux d'élèves atteignant le niveau III (14%) est le plus bas des pays d'un benchmark de pays à revenu intermédiaire. Pour ce qui est des mathématiques, les résultats, pour les élèves de 8e année, sont encore moins bons qu'en sciences. Alors que seuls 7% des élèves atteignent le niveau III, 21% des élèves tunisiens, 21% des élèves égyptiens, 19% des élèves indonésiens y parviennent. Aux Olympiades internationales de mathématiques de 2009, l'Algérie s'est classée 104e, c'est-à-dire dernière. La Tunisie s'est classée à la 77e place, et le Maroc à la 74e place. Nous disposons d'un autre indicateur de la qualité du système éducatif, l'appréciation qu'ont les entreprises algériennes des compétences des travailleurs. En 2007, 37% des entreprises déploraient un déficit de compétence. Ce même taux était de 35,7% pour les pays arabes, 27% dans la zone MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient), 25% en Afrique, 14% en Europe et Asie centrale. Nabni www.nabni.org Tunisie, Maroc, Egypte, Indonésie, Malaisie, Vietnam, Turquie, Mexique, Chili, Brésil, Emirats arabes unis, Roumanie.