Toute la presse est revenue sur le parcours de Pierre Chaulet, assez peu sur l'homme qu'il était, beaucoup sur le patriote. Je voudrais raconter l'autre Chaulet, un peu plus intime, le professeur de phtisiologie. Nous sommes en 1978 ou peut-être 77 ou peut-être même 76, peu importe, c'est ce qui m'a marqué qui compte. J'étais malade, vraiment, je toussais à réveiller les Algériens sous Boumediène. Je toussais donc à perdre haleine, à ne plus pouvoir respirer, à ne plus pouvoir parler. Voilà que mon prof à la fac, Claudine Chaulet, me voyant dans cet état, eut pitié de moi. Elle me recommanda d'aller voir son mari, le professeur Chaulet. Rendez-vous fut pris. Me voilà devant le médecin. Il avait la face ronde d'un bébé Cadum avec de bonnes joues pleines, les yeux lumineux de ce même bébé, le front bombé et le sourire ? Non pas de sourire, mais une mine grave qui cohabitait paradoxalement avec la bonté, et c'est ce qu'on appelle la grâce. C'est cette gravité qui m'effraya au moment où il m'auscultait. J'étais sûr que c'était grave. Oui, je pensais avoir la tuberculose, cette maladie romantique qui a eu raison de Charlotte Bronté, Jane Bronté, mais aussi, mais surtout de La dame aux camélias qui pour être un personnage de fiction ne m'en a pas moins brisé le cœur. J'attendais son diagnostic pour me ranger définitivement dans les rangs de ces illustres romantiques. Au moins, j'aurais avec eux, à défaut de talent, la même maladie. Après quelques minutes, le couperet tomba : “Vous avez un asthme bronchique." Je faillis défaillir. Dans ma tête, l'asthme que je craignais comme la peste était pire que la tuberculose. L'un tue par étouffement rapidement, alors que l'autre, la tuberculose, nous emporte lentement. Le professeur Chaulet qui a vu la peur dans mes yeux me rassura de sa voix douce en me disant qu'à notre époque on ne meurt plus d'asthme, et que si on ne guérit pas on peut s'en accommoder. Il m'a suivi de longues années, et puis le temps a séparé le malade, semblable à des milliers, de son médecin unique. Parce que Chaulet était un homme à part. Il a donné sans compter à la révolution en se rangeant du côté de la justice. A l'indépendance, il n'a pas attendu comme tant d'autres un retour sur investissement. D'ailleurs, il n'a rien investi. Il a été fidèle à ses principes de justice et d'équité. Il l'a prouvé sur le terrain. En se mettant au service du peuple et non des hommes. Pierre Chaulet était un juste, l'un des plus purs aussi. Dans le cimetière ombragé de Diar Essaâda où il repose désormais à côté de Maillot, il pourra lui raconter l'Algérie indépendante. Ce juste qui aimait trop son pays aura le mot juste pour parler de lui. La terre où il repose sera douce. Douce avec celui qui a été doux avec ses frères les hommes. H. G. [email protected]