Les partis de droite, notamment l'UMP et le Front national dont les rapatriés d'Algérie constituent un fonds de commerce électoral, ont multiplié les charges contre le président Hollande d'être “allé très loin". “Le 17 Octobre 1961, des Algériens, qui manifestaient pour le droit à l'indépendance, ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes." Trois petites phrases. Mais une signification trop lourde après plus d'un demi-siècle d'omissions, de dissimulations et mensonges. Quelques semaines avant sa visite officielle à Alger, le président français François Hollande a donné une indication sur le traitement qu'il entend réserver au contentieux mémoriel qui a conduit la droite à célébrer, en 2005, “les aspects positifs de la colonisation". En raison des pouvoirs spéciaux votés par la gauche en 1957, le gouvernement algérien a toujours tenu en méfiance les socialistes français. Les trois phrases de François Hollande vont peut-être l'amener à changer de braquet. Quand parut le communiqué de l'Elysée, un rassemblement eut lieu sur le pont Saint-Michel à Paris. “Cette déclaration du président de la République va nous permettre d'ouvrir une nouvelle page sur la guerre d'Algérie et un chemin vers une véritable réconciliation, qui était impossible avec les non-dits et les silences. Pour nous, c'est une victoire", réagissait le réalisateur Mehdi Lalloui (Le Silence du fleuve). Soulagement aussi dans les rangs des autres partis de gauche, comme le PC ou Europe écologie les Verts. Mais la droite, dont les rapatriés d'Algérie constituent un véritable vivier électoral, s'indigne. “S'il n'est pas question de nier les évènements du 17 Octobre 1961 et d'oublier les victimes, il est intolérable de mettre en cause la police républicaine et avec elle la République tout entière", s'étouffe le patron des députés UMP, Christian Jacob, jugeant que “la tentative" de François Hollande de “politiser les enjeux de mémoire est dangereuse pour la cohésion nationale". L'ex-Premier ministre, François Fillon, s'est élevé contre “la culpabilité permanente" assénée dans une France “en dépression nerveuse quasi permanente". “J'en ai assez que tous les quinze jours, la France se découvre une nouvelle responsabilité, mette en avant sa culpabilité permanente. On est déjà dans un pays en dépression nerveuse quasi permanente, on n'a pas besoin de ça !", a déclaré François Fillon sur Europe 1. “Il y a une espèce d'escalade : au début, c'était le gouvernement de Vichy, c'est le vrai responsable. Jacques Chirac est allé un peu plus loin en parlant d'Etat français, je veux bien à la rigueur l'admettre, mais pas la France !", s'est exclamé le nouveau député de Paris. “Ce n'est pas au président de faire en permanence ce discours de culpabilité qui vient sur un pays dont vous sentez bien qu'il est fragilisé, divisé de façon profonde", a-t-il estimé, se prononçant pour l'ouverture “de toutes les archives" pour que les historiens s'en emparent, “mais pas les responsables politiques, qu'ils s'occupent du présent, c'est déjà assez difficile comme ça". Le député Laurent Wauquiez (UMP) et ex-ministre a aussi estimé que la France était “allée très loin dans son travail d'introspection". “Je ne vois pas les pas qui ont été faits sur l'Algérie pour travailler sur sa propre histoire et qui est notre histoire commune", a-t-il noté. Le secrétaire national de l'UMP, David-Xavier Weiss, fustige un Hollande à la botte, selon lui, du Front de libération nationale (FLN). “Hollande se soumet aux exigences du FLN. Jusqu'où ira-t-il ?" s'est-il interrogé sur Twitter. Même le quotidien Le Figaro y va de sa musique. “Mais quel prix mémoriel François Hollande est-il prêt à payer pour dégager enfin l'avenir ?" s'interroge le journal de l'avionneur Dassault. La présidente du Front national, Marine Le Pen, a, quant à elle, dénoncé “un acte d'une lâcheté absolue" de François Hollande. “Je commence à en avoir soupé de ces représentants de la France qui n'ont de cesse que de la salir, de mettre en exergue les difficultés qu'elle a pu avoir par le passé", a déclaré Marine Le Pen, jeudi, sur Radio Classique et Public Sénat. “Vous n'avez pas le sentiment que toutes ces repentances ont une influence sur la manière dont un certain nombre de nouvelles générations de Français d'origine algérienne ont une hostilité maintenant à l'égard de la France, quasiment une haine, et même le sentiment que la France leur doit quelque chose qu'ils viennent d'ailleurs chercher, pour certains, de gré ou de force ?" a-t-elle demandé. Pour la leader du parti d'extrême droite, “tout cela est profondément destructeur, profondément diviseur de la société française". Elle a attaqué François Hollande : “ça doit être sa troisième repentance en cinq mois, il fait encore plus fort que Jacques Chirac", a-t-elle estimé. Pour son père Jean-Marie, François Hollande “n'a pas autorité pour reconnaître la culpabilité de la France". Ces déclarations des responsables de la droite “vont dans le même sens que les prises de position de Nicolas Sarkozy, qui était hostile aux déclarations de repentance et préférait valoriser des mouvements comme la Résistance. Il s'agit pour eux de mettre en avant des éléments de l'histoire nationale qui pourraient redonner de l'allant au pays", analyse l'historien Jean-Pierre Rioux, auteur de La France perd la mémoire. “Par ailleurs, personne ne peut nier aujourd'hui qu'il y ait eu une répression sanglante le 17 Octobre 1961, que la police républicaine ou certains de ses éléments à qui on avait lâché la bride aient tapé très fort. Sans que cela justifie en quoi que ce soit le massacre qui a fait au moins deux cents morts ce jour-là, il faut se souvenir de l'atmosphère de guerre qui existait à l'époque en région parisienne. Les sacs de sable devant les commissariats, les policiers en faction équipés de mitraillettes", a-t-il ajouté dans une interview au Monde. Par leur réaction, la droite et l'extrême droite soignent leurs “intérêts électoraux", selon lui. Avant le cas de l'Algérie, le chef de l'Etat français a montré son intérêt pour les questions mémorielles. Il l'a exprimé sur la question juive. Et aussi sur l'Afrique. “Nous avons à la fois une reconnaissance par rapport à l'Afrique, à ce qu'elle nous a apporté, et aussi des fautes qui doivent être rappelées : ce qu'a été la colonisation et avant, ce qu'a été la traite négrière", a-t-il dit à Dakar. Y K.