Rencontré lors du dernier Salon international du livre d'Alger (Sila) au stand des éditions Apic, alors qu'il procédait à une vente-dédicace, l'auteur de la Meilleure façon d'aimer détaille dans cet entretien les thèmes qui gravitent autour de son roman, tout en revenant sur son style d'écriture. Liberté : Alors, au bout de 176 pages, avez-vous découvert quelle est la meilleure façon de s'aimer ? Akli Tadjer : La meilleure façon de s'aimer c'est de le prouver avant qu'il ne soit trop tard. La meilleure façon de s'aimer c'est finalement de laisser à l'autre toute sa liberté. C'est un roman à deux voix (la mère Fatima et le fils Saïd), pourquoi avez-vous choisi ce mode de narration ? J'ai choisi ce mode de narration parce qu'au début, je me suis dit que j'allais raconter l'histoire de cette femme, puis ça ne m'a pas suffi parce que je voulais avoir le regard de quelqu'un d'autre sur cette femme. J'ai pris donc le regard de son fils. C'est un regard croisé. En même temps, ça m'a permis de faire en sorte que chacun ait des secrets sans que l'autre ne le sache. On peut vivre à côté de quelqu'un, croire qu'on le connaît, et en fait, on ne connaît pas son existence, ce pourrait être quelqu'un de très proche : votre maman ou votre papa. Et c'est ça, à mon avis, le charme des gens, c'est le mystère. Ce mode de narration m'a aussi permis de revenir sur la jeunesse de cette femme, parce qu'en fait, on n'imagine pas nos parents jeunes. Cette femme n'a jamais parlé de son passé à son fils, et il a fallu qu'il arrive cet accident, pour qu'elle revisite son histoire. En ce sens, je trouve que c'est un roman assez positif, ce n'est pas un roman larmoyant. Même dans la difficulté, elle ne se lamente pas sur son sort. Fatima s'accroche mais on a l'impression qu'elle le fait pour elle-même... Elle s'accroche pour retrouver, jusqu'au dernier moment, cette petite fille en robe jaune qu'elle a laissée à Alger il y a bien longtemps, et qui est son rayon de soleil. Elle est comme dans un rêve. C'est comme quand vous êtes en plein rêve, qu'on vous réveille, et que vous avez envie d'y retourner, mais vous ne pouvez pas parce que ça vous échappe complètement. Elle essaie de retrouver son histoire, de recouper sa vie. C'est sa vie qu'elle avait enfouie qui revient. Je crois que c'est assez drôle et assez bouleversant quand même. J'étais vachement ému de la fin, parce qu'en fait, je n'avais pas vraiment d'idée de la fin, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Il a l'air très structuré le roman, mais la fin, je l'ai cherchée longtemps. Pourquoi avez-vous choisi l'espace de l'hôpital pour que Fatima revisite sa mémoire ? Parce que je crois que si elle n'avait pas eu l'AVC, ce serait resté enfouie dans sa mémoire, car elle a subi un traumatisme, et je ne parle pas de l'AVC. Sa vie est un traumatisme. Je pense qu'on ne fait de bons romans qu'avec des personnages comme ça, c'est-à-dire qui ont une histoire un peu tumultueuse, torturée. Il y a aussi les deux personnages qui sont à la première personne, ce qui m'a permis de rentrer pour la première fois dans la peau d'une femme. Je n'ai jamais fait cela, de parler avec un “je" en étant une femme. Cela m'a permis d'avoir une vision sur l'autre, sur l'homme. Le fils Saïd a lui aussi des problèmes, mais ils sont moins douloureux... Lui, finalement, il a une vie d'enfant gâté, même s'il a été aimé tard. Il n'a vraiment été aimé que quand son père est mort. Donc sa mère s'est raccrochée à lui ; mais c'est vrai qu'il a une vie plus simple, parce que lui, il a quasiment des problèmes de riches. Il est quand même au chômage... Mais le fait qu'il soit au chômage, ce n'est pas pour décrire une société qui le mettrait de côté. Cela lui donnait du temps pour voir sa mère. Je me suis dit, pour voir sa mère, il faut que je le libère, alors je l'ai mis au chômage. C'est vrai qu'il a une vie plus simple, mais j'ai trouvé qu'il était intéressant qu'il ne sache rien de sa mère, qu'il croit la connaître. Ils ont été l'un à côté de l'autre, l'un en face de l'autre sur le même palier, mais, parfois, ils étaient à des années-lumière l'un de l'autre. Comme souvent c'est le cas. Dans le roman, il y a le rapport à la mémoire avec les souvenirs de la mère (village du père, sa vie à la Casbah, la petite fille en robe jaune, etc.), mais Saïd donne l'impression qu'il n'a pas de mémoire. Et d'ailleurs, il n'est pas du tout en conflit... Il n'est pas du tout en conflit parce qu'il n'a pas les mêmes repères que sa mère. Il n'a pas les mêmes repères géographiques, ni affectifs, ni amoureux. Même s'il a une vie plus simple, on sent bien que c'est un petit dégourdi quand même. Mais à un moment du roman, il dit : “On s'aime mais on ne sait pas s'aimer", et pour moi c'est quelque chose qui est vachement révélateur des gens qui ne savent pas dire je t'aime ou qui le disent mal. Votre style passe par des descriptions réalistes, il y a également beaucoup d'humour, beaucoup de musique et de cinéma aussi... C'est ma façon d'écrire. C'est très compliqué de faire simple. Moi j'essaie. Les romans que j'adore, ce n'est pas forcément ceux où je vais m'ébahir devant le style. Les romans que j'adore c'est quand je tourne la page. Mon objectif c'est de raconter une histoire, je ne m'adresse pas à une élite particulière. Concernant la musique, j'adore la chanson. D'ailleurs, si je ne chantais pas comme une casserole, j'aurais préféré être chanteur. J'adore le cinéma aussi et j'en ai même adapté mon roman Il était une fois peut-être pas. Si je ne vois pas le film avant, je ne peux pas écrire. Je ne peux pas écrire à partir de choses abstraites. Je visualise un peu, je me fais mon film dans ma tête, je me fais comme un petit scénario, et c'est pour cela que lorsqu'on lit, les gens ont l'impression de voir un film. La Meilleure façon de s'aimer, d'Akli Tadjer. Roman, 176 pages. Editions Apic. 600 DA.