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Mohamed Talbi, Directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur
“Ce qui nous intéresse, ce sont des élections crédibles"
Publié dans Liberté le 04 - 11 - 2012

Dans cet entretien, ce responsable au ministère de l'Intérieur aborde dans le détail le dispositif mis en place pour les locales prochaines, parle de la modernisation du fichier électoral, du nombre important de femmes candidates ainsi que de l'âge moyen des postulants dont 80% ont moins de 50 ans.
Liberté : La première phase des élections locales du 29 novembre étant achevée, voulez-vous nous faire le point sur ce qui a été fait ?
Mohamed Talbi : Nous sommes à 185 187 candidats, soit 64 974 candidats de plus qu'en 2007. Pour les APC, il y a 153 578 candidats de sexe masculin et 31 609 de sexe de féminin, soit 28 472 de plus qu'en 2007. Elles représentent 17% des candidatures. Pour les listes des APC, elles sont au nombre de 8 405. Les partis ont déposé 7 969 listes, celles déposées par les partis organisés en alliance sont de 314. Il s'agit de l'Alliance de l'Algérie verte avec 248 listes, Hamas-Islah 8 listes, RND-Hamas 1 liste, RND-Nahda 1 liste, Nahda-Islah 1 liste et 177 listes par les indépendants.
Pour les APW, il y a 592 listes, avec 32 399 candidats, soit 12 370 de plus qu'en 2007, et 8 779 candidats femmes, soit 7 215 de plus qu'en 2007. Les listes se répartissent entre 557 pour 50 partis, 26 pour les partis organisés en alliance, AAV 20 listes, Nahda-Islah 3 listes, Hamas-Islah 1 liste, PEP-RPR 1 liste, El-Itihad-PNSD 1 liste et 35 listes indépendantes. La nouveauté, il y aura 11 517 centres de vote et 48 698 bureaux de vote dont 187 itinérants. Et les bureaux itinérants ont été réduits de 32, il n'en reste que 187 sur les 219 lors des législatives du 10 mai. C'est un signe d'une amélioration du dispositif. Les bureaux et centres seront encadrés par 871 473 éléments.
Beaucoup de candidatures ont été rejetées et pour une bonne partie au motif d'antécédents judiciaires. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
En ce qui nous concerne, il y a des conditions légales que tous les candidats doivent respecter. Le rôle de l'administration locale en charge de la réception, de l'étude et de l'examen du dossier, c'est de voir si ces conditions sont réunies. Si elle estime que ces conditions ou l'une des conditions ne sont pas réunies, elle rejette la candidature ou le dossier. Il appartient aux partis politiques concernés par le rejet de candidature d'intenter le recours à la justice. Là s'arrête le rôle de l'administration et commence celui de la justice.
Il y a des candidatures qui ont été rejetées parce que les dossiers étaient incomplets : pièces manquantes, situation vis-à-vis du Service national ou encore des situations de double candidature, ce qui est interdit par la loi, situation où les conditions d'âge ne sont pas réunies, ajouté à tout cela les antécédents judiciaires. Voilà en gros des motifs de rejet de candidatures et de dossiers. Durant la phase d'étude des dossiers, les partis politiques ont procédé au remplacement des candidats qui ne remplissent pas les conditions ou ont complété les dossiers. Dans le cas des dossiers incomplets, 5 429 candidatures aux APC et 1 130 aux APW ont été temporairement rejetées avant leur remplacement par les partis. Il restait le problème où les partis politiques n'ont pas procédé au remplacement et ont préféré intenter des recours judiciaires. À ce moment-là, c'est la justice qui doit se prononcer sur le bien-fondé de la requête. Soit elle déboute l'administration, soit elle déboute les candidats. Le rejet définitif concerne 43 listes pour les APC et 23 listes pour les APW. Pour cette dernière, le motif, en général, est lié au non-respect du quota réglementaire de femmes. Donc, l'administration a fait son travail, la justice a fait le sien. Quand vous avez 180 000 dossiers pour les APC et 32 386 pour les APW à examiner, c'est un travail colossal. De manière générale, l'opération s'est déroulée dans de bonnes conditions, il n'y a pas eu d'incident majeur. En tout cas, nous avons averti les partis sur les délais de dépôt et nous les avons rappelés. Les dossiers ont été déposés en présence d'un huissier.
Pouvez-vous nous donner la moyenne d'âge et le niveau d'instruction des candidats ?
Pour les moins de 30 ans, il y a une bonne frange de la jeunesse, ils représentent 21,07%, alors que les 31-40 ans sont à 36,4% et les 41-50 ans 27,47%. Si vous additionnez, cela donne plus de 80% des moins de 50 ans. Pour le niveau d'instruction, vous avez par exemple le niveau supérieur et postgraduation. Pour les APC, vous avez déjà 28% et pour les APW, il est plus important. Il est de 32%.
C'est un niveau de responsabilité plus important ?
Pour les gens qui vont aux APW, c'est une vision un peu plus macro, c'est le budget, c'est le programme du plan de développement, d'aménagement de la wilaya. Nous avons là une autre catégorie de candidats. Il y a ceux qui sont très intéressés par la gestion locale immédiate directe et ceux qui sont dans des structures avec des perspectives. De toute manière, l'exercice d'un mandat électif au niveau local est un bon tremplin pour l'exercice de responsabilités futures, soit dans l'appareil de l'Etat, soit dans les institutions élues nationales.
Quelle est la part des petits partis et ceux nouvellement agréés ?
J'ai des chiffres détaillés, je n'ai pas les grands agrégats, je ne commente pas. L'administration ne commente pas. Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a eu 29 partis nouvellement agréés qui participent à cette élection. Cela veut dire qu'il y a un effort de ces partis pour entrer dans le combat, dans la compétition électorale. On s'interdit de les qualifier de petits ou de grands, pour nous, administration centrale et locale, nous les traitons tous sur un pied d'égalité. Maintenant, pour ce qui est de leur poids sur le terrain, leur poids dans la société, au sein de l'électorat, ce sera le verdict des urnes, ce sera le citoyen qui va dire que ce parti a eu raison, a un bon programme de campagne. Il faut être convaincant, parce que le citoyen, il faut aller le chercher et le convaincre d'adhérer à une démarche, à un programme. Il y a eu des partis qui ont participé lors des élections législatives et qu'on retrouve dans ces élections locales, cela leur fait déjà une deuxième expérience. Parce que la construction d'un parti n'est pas chose facile, c'est un combat de tous les jours. Et le point le plus important, il me semble, c'est le choix des candidats. Si vous avez de bons candidats, vous avez plus de chance de réaliser un meilleur score que vos concurrents. Avec les élections de 1997, l'amorce du retour à la stabilité, on a amorcé un processus de mise en place des institutions. Depuis 1997, tous les mandats ont été respectés, nous avons eu des échéances, en 2002, nous avons organisé des élections locales, en 2007 et en 2012, des intervalles qui attestent qu'il y a une normalité. Dans le prolongement de la mise en place des institutions issues des réformes politiques, nous sommes à la deuxième expérience. Pour nous, le dispositif, on le voit en amélioration continue. Nous nous imposons un niveau que nous devons atteindre. Il faut que le scrutin qui vient après soit meilleur que le précédent sur le plan organisationnel. Le score des candidats, des partis, nous intéresse, mais ce qui nous intéresse le plus, c'est d'avoir à asseoir des élections crédibles, transparentes, bien organisées et sans incident.
On a souvent, pour ne pas dire toujours, accusé l'administration d'être l'outil de fraude. Que répondez-vous à cette accusation ?
Vous avez suivi tout ce qui a été dit par les observateurs avertis, nos observateurs nationaux, les partis politiques, la classe politique et les observateurs étrangers. Quand vous avez une reconnaissance internationale que ces élections se sont déroulées dans un cadre normal, qu'il n'y a pas eu d'incident, qu'elles se sont déroulées dans la sérénité, dans une bonne organisation, je ne dirai pas parfaite, maisdans l'ensemble qu'elles se sont bien déroulées. Ce que disent les autres à propos de l'administration ne nous intéresse pas.
Les observateurs ont recommandé de revoir le fichier électoral considéré comme obsolète. Est-ce que l'opération a commencé ?
D'abord, il n'est pas obsolète, sinon on n'aurait pas pu organiser toutes les élections que nous avons organisées à ce jour. On ne peut pas organiser une élection avec un fichier obsolète. Nous parlons plutôt de modernisation du fichier national et cette modernisation exige une expertise. Nous avons trouvé cette recommandation aussi bien dans les écrits des observateurs nationaux que ceux des observateurs étrangers. Nous la prenons en charge. Entre les élections législatives et les élections locales, il n'y a pas eu de temps pour faire un travail gigantesque. Il faut reprendre tout à zéro, pour établir un fichier moderne au sens des standards internationaux. Il va falloir un laps de temps, ce n'est pas en trois ou six mois. Nous allons le faire dans un délai, que nous supposons, d'un an. Il ne faut pas oublier qu'il faut intégrer cette donne dans le projet de modernisation actuel en cours de l'administration du service public. Modernisation des titres d'identité, des titres de voyage (carte d'identité et passeport) et, dans la foulée, moderniser le fichier des cartes grises, le fichier du permis de conduire et le fichier électoral. La carte d'identité biométrique infalsifiable, dotée d'un numéro d'identification unique pour chaque citoyen, qui sera liée au fichier électoral, vous permettra de voter. Vous n'aurez pas besoin de la carte d'électeur actuelle. C'est un tout et il faut raisonner en termes de modernisation d'un système, d'une administration, d'un appareil et en termes de prestation ; prestation carte d'identité, prestation passeport, prestation 12 S, etc. C'est pour cela que je vous dis que c'est une vision et une expertise.
La multiplication des partis dans cette course ne vous a-t-elle pas créé des problèmes dans la gestion des listes ?
C'est à nous de prouver que nous sommes à la hauteur. Nous sommes en train de parler modernisation et amélioration d'un dispositif, cela fait partie des contraintes auxquelles nous devons faire face pour voir si notre dispositif est à la hauteur ou pas ; alors qu'il y ait cinq, quinze ou cinquante partis, nous devons nous préparer à toute éventualité.
Est-ce que tous les partis sont arrivés à couvrir toutes les communes ?
C'est proportionnel, d'une manière générale, les partis qui sont là, qui existent, qui sont sur la scène depuis longtemps ont des députés, couvrent le maximum de communes, ensuite viennent d'autres partis qui essaient tant bien que mal de couvrir ce qu'ils peuvent couvrir comme nombre de communes et de présence au niveau des APW. Mais il y a des partis émergents qui constituent de sérieux concurrents.
Ne pensez-vous pas qu'il faut fixer l'aide à la Commission de surveillance des élections pour en finir avec les polémiques ?
Est-ce que vous pensez que nous savions quel était le nombre de partis qui allaient participer ? Vous allez faire des prévisions, travailler sur la base de prévisions.
D'abord, nous refusons de polémiquer avec cette commission, d'ouvrir un débat ou une polémique avec elle. Nous nous interdisons toute polémique avec cette commission. Pour nous, la loi est claire, la commission bénéficie de facilitations et d'appui logistique lui permettant d'exercer ses missions qui sont d'ailleurs clairement définies. Nous nous tenons à ce qui est écrit dans la loi comme prérogatives accordées à cette commission.
On s'occupe de l'organisation et on essaie d'apporter notre concours autant que faire se peut à cette commission pour qu'elle exerce ses prérogatives conformément à la loi, nous ne lésinerons pas sur les moyens pour permettre à cette commission de bien travailler.
Le seuil des 7% ne constitue-t-il pas, selon vous, un handicap pour certains partis ?
Je vous pose la question, est-ce que vous pensez que prétendre à être président d'une APC avec moins de 7%, c'est bien ? Si vous étiez quelqu'un qui voulait gérer une APC, est-ce que vous auriez intérêt à ce qu'on dise que vous êtes élu avec 7% ou moins de 7% ? C'est la notoriété de votre parti et votre notoriété à vous. Maintenant, plus vous avez un score important, plus votre crédibilité augmente. À présent que la loi relative au régime électoral est entrée en application et que la loi sur la commune est en vigueur, attendons que ces lois fassent leurs preuves sur le terrain d'application pour voir l'exécution de ces questions qui sont soulevées ici et là !
Vous avez évoqué 17% de femmes candidates. Ne sommes-nous pas loin des 30% exigés ?
Il ne faut pas confondre, 30% ne s'est pas généralisé à l'échelle nationale, cela concerne les communes de plus de 20 000 habitants et les communes chefs-lieux de daïra. Ce sont 700 communes. Déjà avec 30 000 femmes, c'est une première depuis l'Indépendance, faut-il le souligner, où nous avons des femmes présentes sur plus de 8 500 listes. C'est cela le point le plus important indépendamment du chiffre. Et sur cette proportion-là, bon nombre d'entre elles vont être élues. C'est une question de pourcentage, parce qu'on prendra encore 30% du nombre de sièges qu'a eu la liste. Donc, elles ont de fortes chances de passer. À ce moment-là, on atteindra la moyenne mondiale. À l'approche de la campagne, nous espérons une saine compétition entre les partis en lice et que cette campagne puisse créer une ferveur sur la scène politique et que les partis expliquent leur programme et fassent preuve de percussion en direction de l'électorat. Et nous espérons que les citoyens viennent en masse assister aux meetings et qu'il y ait une forte participation le 29 novembre.
D. B.


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