Si notre branche pharmaceutique partage avec les autres secteurs industriels les mêmes contraintes de “climat des affaires" médiocre, elle a, en plus, à surmonter d'autres liées à la complexité technologique et aux barrières à l'entrée érigées au plan international. C'est pour cela qu'elle aurait dû faire l'objet d'un accompagnement multisectoriel spécifique d'autant que les coûts économiques et sociaux de son retard et de sa mauvaise gouvernance sont lourds : augmentation de la facture d'importation, mauvaise couverture de la demande sanitaire (pénuries de médicaments dans les officines, retard d'approvisionnement des hôpitaux). Rappel de quelques chiffres. En 2012, cette branche est structurée autour de 139 importateurs agréés mais seulement 98 unités de fabrication qui ne couvrent que 20% de la demande nationale si l'on y ajoute les 14 entreprises de conditionnement. Pourtant la volonté de faire bouger les lignes était présente depuis fort longtemps aussi bien chez les pouvoirs publics qu'auprès des acteurs de la branche. Sans remonter à la période d'industrialisation des années 70, on peut rappeler le rapport du Cnes de décembre 2003 (“Le médicament, plateforme pour un débat social") qui signalait déjà que “la situation du médicament est grave, le pays est tributaire de l'étranger à plus de 80%". On peut, plus tard, se reporter aux conclusions des Assises de l'industrie, tenues en mars 2007, qui prévoyaient qu'“en 2012, l'industrie pharmaceutique couvrira 65% des besoins nationaux" pour autant que les contraintes signalées soient levées. On voit bien qu'on est loin du compte et que la branche a stagné pendant plus d'une décennie à 20% au mieux de couverture de la demande nationale. À titre de comparaison, la Tunisie, pour un marché beaucoup plus petit, a vu la couverture de sa demande en médicaments passer de 8% en 1987 à 45% en 2000 du fait de l'investissement privé essentiellement appuyé par des politiques publiques adéquates. En vérité tout le monde savait ce qu'il convenait de faire pour développer la branche pharmaceutique en Algérie. On pouvait, en plus des deux documents institutionnels cités plus haut, se référer à l'étude réalisée en septembre-octobre 2007 par la Commission de l'Union européenne (UE) pour le compte de l'ex-ministère de la PME et de l'Artisanat. Cette dernière préconisait une stratégie de filière basée sur le développement des médicaments génériques compte tenu de l'inexistence de capacités locales de recherche développement (excepté Saidal dans une certaine mesure) de nature à promouvoir des industries basées sur des molécules “princeps". Elle préconisait également la mise en place d'une agence du médicament qui serait une autorité de régulation indépendante à l'instar de ce qui se fait à travers le monde. En 2012, cinq ans après, cette dernière n'est toujours pas créée, confortant ainsi la gestion “administrée" du médicament. Le seul point qui n'emportait pas mon accord dans cette étude c'est celui relatif à l'alignement de l'Algérie sur les normes pharmaceutiques communautaires. Vous admettrez avec moi les risques que cela peut engendrer de devenir un marché captif de l'UE. Il faut savoir que la pratique industrielle internationale a validé ce type de stratégie basée sur les génériques. Ainsi l'industrie pharmaceutique indienne, qui s'est développée sur la seule fabrication de génériques, produit à présent de médicaments “princeps" pour les grands groupes internationaux. C'est le cas du Brésil et plus près de nous, à un degré moindre, de la Jordanie. J'ajouterai pour ma part, même si le ministre des Finances a exclu — pour le moment — la mise en place des fonds souverains, qu'il convient de permettre aux investisseurs publics et privés de la branche d'acquérir des actifs industriels et technologiques étrangers car ils n'existent pas dans le pays. La crise de la dette souveraine en Europe offre dans ce domaine, comme d'autres domaines industriels, des opportunités intéressantes à saisir. En conclusion, sachant ce qu'il y a à faire dans cette branche stratégique, il n'y a plus qu'à agir car l'action concertée des pouvoirs publics et des acteurs de la branche ne pourra plus être contrecarrée par les lobbies. Ils risqueraient trop d'être identifiés. Et mis hors jeu.