L'Algérie a-t-elle le temps pour créer une économie alternative dont on parle dans les salons et les séminaires depuis des années ? L'annonce de l'AIE est le dernier ultimatum aux économies rentières qui n'ont d'autres choix que celui de s'adapter à ce nouveau contexte mondial en promouvant une industrie de substitution à l'importation. L'après-pétrole est déjà là. Les pays pétroliers, dont l'Algérie, qui ambitionnaient de construire une économie alternative après la disparition de l'or noir, ont du souci à se faire. L'un des plus gros consommateurs d'énergie dans le monde, à savoir les USA, deviendra dans moins de cinq ans, autrement dit vers 2017, le premier producteur de pétrole. Et ce n'est pas tout. Il sera aussi un exportateur net de brut autour de 2030. C'est-à-dire demain. Les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ont l'effet d'un coup de tonnerre dans un ciel serein, même si les spécialistes avaient mis en garde, depuis déjà longtemps, contre un bouleversement du marché des hydrocarbures avec l'avènement des énergies renouvelables, le solaire en l'occurrence, qui constitue d'ores et déjà une sorte de menace pour les pays dont l'économie dépend quasiment du pétrole. “Les développements dans l'énergie aux Etats-Unis sont profonds et leurs effets vont se faire ressentir bien au-delà de l'Amérique du Nord et du secteur", a pronostiqué hier l'AIE, qui regroupe les grands pays consommateurs d'énergie (Europe, Etats-Unis, Japon), dans la dernière édition du World Energy Outlook, sa grande étude prospective annuelle. Les USA, premier producteur dans 5 ans ! “Vers 2017, les Etats-Unis deviendront le plus gros producteur de pétrole, dépassant l'Arabie Saoudite", a précisé Fatih Birol, le chef économiste de l'agence, lors d'une conférence de presse à Londres. Cette révolution programmée dans la planète pétrole ramènerait le monde aux débuts de l'industrie pétrolière. De la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle, le pays avait été le principal producteur d'or noir au monde, ce qui avait nourri son développement industriel, économique et stratégique. Les Etats-Unis sont devenus dans le même temps la première puissance mondiale. “Les Etats-Unis deviendront le numéro un mondial incontesté de la production gazière mondiale autour de 2015, dépassant ainsi la Russie", a ajouté M. Birol. L'AIE appuie ses prévisions sur l'essor de la production des hydrocarbures non conventionnels, autrement dit, le gaz et le pétrole de schiste, ainsi que les réservoirs imperméables de pétrole léger (ou “tight oil"), qui furent longtemps considérés trop coûteux et trop difficiles à extraire. “Le rebond récent de la production américaine de pétrole et de gaz, menée par des essors technologiques qui permettent d'extraire" ces ressources non-conventionnelles, comme la fracturation hydraulique, “transforme à un rythme soutenu le rôle de l'Amérique du Nord" sur l'échiquier énergétique mondial, explique l'agence. Les chiffres semblent conforter la prédiction de l'AIE, bien que le débat fasse toujours rage entre les experts sur l'arrivée prochaine du “pic pétrolier", c'est-à-dire le moment inéluctable où la production mondiale d'or noir amorcera son inexorable déclin. Depuis le début de l'année, les Etats-Unis ont extrait environ 6,2 millions de barils de brut par jour, contre 5 millions en 2008, soit un bond de 24%, selon les statistiques du département américain de l'Energie. L'AIE anticipe que ce bond de la production américaine, couplé à des mesures visant à réduire la consommation des véhicules, “fera chuter progressivement les importations pétrolières du pays, jusqu'à ce que l'Amérique du Nord devienne un exportateur net de brut, aux alentours de 2030". Résultat, le Graal de “l'indépendance énergétique", un objectif longtemps considéré comme inatteignable, serait désormais bel et bien en vue pour les Etats-Unis, avance même l'AIE. Le pays, qui importe actuellement environ 20% de ses besoins en énergie, “deviendra pratiquement autosuffisant en termes nets, un renversement spectaculaire de la tendance qui prévaut pour la plupart des pays importateurs", indique-t-elle. L'Algérie face à un choix inéluctable Quelles conséquences aurait un tel renversement sur les économies des pays pétroliers ? L'Algérie s'est-elle préparée à y faire face ? La réponse est bien entendu non. Avec une économie déstructurée basée sur l'importation et le commerce, le pays est désormais soumis à une forte pression. S'il n'est pas dit que les USA arrêteront d'un coup l'importation du brut, il n'est pas, non plus, à écarter de voir le prix du baril baisser graduellement dans les prochaines années jusqu'à atteindre des seuils de non-rentabilité. Ce qui pourrait ramener inéluctablement les réserves algériennes à une situation connue au début des années 1990 où le baril était échangé à moins de 11 dollars US et période à laquelle les rentrées en devises ne dépassaient pas les 10 milliards de dollars US. Un scénario catastrophe qui fait rappeler de très mauvais souvenirs aux Algériens, mais qui malheureusement pourrait être envisagé. Les programmes de développement lancés ces dernières années grâce à l'embellie pétrolière et qui subissent déjà de longs retards en raison de la mauvaise gestion risquent d'être remis en cause faute de liquidités. Il est vrai que les réserves de changes du pays permettent trois années d'importations avec une poursuite du rythme actuel de dépenses. Mais un tel confort ne saurait cacher la réalité. Si les rentrées pétrolières venaient à dégringoler et qu'il n'y ait pas entre-temps de relance des secteurs de l'industrie, de l'agriculture et du tourisme, l'Algérie serait dans la zone rouge. Il est plus que jamais urgent de créer une économie de substitution à l'importation. Alors le débat est lancé aussi bien par les opérateurs économiques que les officiels sur l'après-pétrole, et la nécessité de créer une économie alternative basée sur le travail et la compétence, les prévisions de l'agence internationale de l'énergie pourraient sonner comme une sorte d'ultimatum. S T