Les enveloppes pleuvent sur les wilayas, au passage du Président-candidat. Pourvu qu'il ait le temps de visiter les quarante subdivisions administratives pour qu'ainsi la nation entière profite de la générosité de la campagne du Président. Il y a de quoi rassurer les trésors locaux : le cortège présidentiel ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Contre cinq milliards de dinars, il a droit à des appels à candidature télévisés ponctués d'embrassades appuyées et prolongées. Passe encore qu'on organise l'école buissonnière dans les régions visitées pour faire affluer les enfants aux abords des chemins de la campagne électorale, qu'on ferme les entreprises et les administrations publiques pour faire conduire leurs personnels sur les bords des avenues empruntées par la suite présidentielle, que des adeptes se prêtent au manège préfabriqué parce qu'ils sont politiquement convaincus ou parce qu'ils escomptent quelques dividendes sociaux. Mais de confondre une clientèle politique avide avec un peuple écrasé par le dénuement pour rétribuer ses applaudissements télévisés au passage d'un cortège officiel confine au mépris des masses qu'on veut faire passer pour des partisans. Le procédé est d'autant plus cynique qu'il revient à exploiter l'impécuniosité de citoyens qu'on a poussés, ou en tous cas laissés, par la politique du pouvoir, à une telle indigence. Les appauvrir pour ensuite les payer pour les amener faire la claque le long des itinéraires électoraux ! N'est-ce pas accabler un peu plus ces démunis que d'en faire des figurants de mises en scènes électoralistes ? Au désintérêt politique dont leur état est révélateur, s'ajoute l'humiliation de l'enrôlement de gens qui n'ont pas les moyens de refuser ce racolage passager et rémunéré. Beaucoup de nos concitoyens, en particulier dans l'Algérie profonde, se retrouvent dans un tel état de privation qu'ils ne peuvent point se payer ce luxe des gens qui mangent à leur faim d'avoir une opinion. Et ce sont les autorités, réputées veiller à la dignité des Algériens, quotidiennement menacée par le terrorisme, l'injustice, l'exclusion sociale et l'indifférence des pouvoirs publics, qui exploitent cette précarité pour organiser leurs kermesses politiciennes, ajoutant à l'indigence matérielle l'outrage moral. On ne peut pas confondre des assistances qui ont, par besoin, accepté d'être rétribuées et des thuriféraires et clientèles emmenés par leur avidité sur le chemin du makhzen. On ne doit pas traiter de la même manière les postulants à l'attention des détenteurs des cordons de la bourse nationale et des appauvris qui acceptent, par contrainte, d'être payés pour se rendre en ville et voir passer le convoi de voitures noires. Ceux-là ont choisi de se faire soudoyer ; ceux-ci n'ont même pas le loisir de s'offrir le luxe d'avoir une opinion. C'est l'ENTV qui parlera en leur nom, après qu'ils eurent été forcés au rassemblement télévisé et que les préposés à l'appel à la candidature de Bouteflika eurent été filmés. Au lieu de les soutenir au long de leur épreuve qui dure depuis plus d'une visite d'inspection, leur Etat négocie à vil prix leur soutien d'un jour. Il y a assez de dirigeants de clubs intéressés, de notables vénaux et autres chefs de zaouïas cupides pour remplir, à l'occasion, les allées des chefs-lieux. Pourquoi ne pas s'éviter alors l'humiliant procédé de triste mémoire qui consiste à monnayer son mépris de la plèbe ? M. H.