Les caisses de l'Etat doivent être bien pleines, à entendre les encouragements du chef de l'Etat en faveur de la “consommation”. M. Abdelaziz Bouteflika a passé l'essentiel de son deuxième jour de visite à Sétif dans la rue principale de la ville d'El-Eulma. Il y a marché pendant plus d'une heure alors qu'il venait de consacrer près de cinquante minutes aux inaugurations d'édifices et d'infrastructures. El-Eulma, sur ordre de M. le wali, enfin M. Nouri, s'est rendue bien disponible, chaleureusement accueillante. Et comme son chef-lieu de wilaya la veille, joyeuse et fêtarde, envolée au rythme folklorique des troupes nationales dépêchées au frais du contribuable de nombreuses régions du pays (El-Oued, Batna, Oum El-Bouaghi, etc.). L'image à retenir de la visite du président de la République ici est donc logiquement, et avant tout, celle de la grande mobilisation populaire orchestrée par les autorités locales, sous l'impulsion des hauts responsables de l'Etat. Car il est une contradiction flagrante entre les jugements parcimonieux de M. Bouteflika concernant les coûts des projets réceptionnés, en voie de réception ou en cours de réalisation par rapport aux dépenses faramineuses subies par l'Etat dans la préparation exagérément pulpeuse et populiste de ce genre de visites. Comment diable le premier magistrat d'une wilaya peut-il s'arroger le droit d'inviter une vingtaine de troupes folkloriques pendant au moins trois jours et prendre en charge des membres de comités de soutien (d'un Président qui, officiellement, n'est pas encore candidat, ceci ne justifiant guère cela du reste) pour les besoins d'une tournée présidentielle, la cinquième en quatre ans de surcroît ? “Comme par hasard — heureux ! — les projets pleuvent sur nous à une année de la présidentielle !”, nous disait un vieil habitant de Constantine la semaine dernière. Sétif, d'autres wilayas bientôt aussi, bénéficie d'une abondance identique. Pas uniquement de projets d'ailleurs mais d'argent également. Qu'à cela ne tienne. M. Zerhouni a annoncé l'octroi d'une enveloppe financière de six milliards de dinars, à consommer impérativement avant la fin de l'année ! Cette enveloppe s'ajoutera aux sommes déjà versées par le Trésor à la wilaya pour la réalisation de ses projets, dont certains viennent de se voir offrir l'honneur de l'inauguration par M. Bouteflika en personne. Souriant dans la rue principale d'El-Eulma, ce dernier a justifié de ses doigts (le pouce et l'index) de “non” catégorique opposé aux habitants de cette daïra qui réclamaient le statut de wilaya. Le pouce et l'index indiquaient, en fait, l'argent, “si vous avez assez d'argent, alors nous pourrons vous l'accordez”, semblait-il signifier. Dans la matinée de dimanche, dans la paisible localité de Aïn Arnat, le chef de l'Etat a affirmé avoir accordé des budgets supplémentaires à tous les walis. Il ne cessait de dire, dans le même temps, aux responsables venus lui présenter les projets : “Si vous parvenez à utiliser l'argent qui vous est destiné, vous en aurez encore davantage après”. C'est, à peu près, le patron d'une usine exhortant ses employés à dépenser sans compter afin d'arriver à un équilibre des dépenses. Cela, au demeurant, suppose que l'Algérie est en très bonne santé financière. À travers l'exemple sétifien, le ministre de l'Intérieur a étalé fièrement la munificence de l'Etat, son altière bonté à l'égard de ses concitoyens. “Nous donnons à la wilaya un raccordement de 100 millions de dinars pour la réalisation d'un centre d'urgence hospitalo-universitaire qui viendra compléter les installations de l'hôpital, et 5 000 logements supplémentaires, dont quatre mille affectés aux zones rurales. De plus, le dédoublement de la route nationale 5 (RN5) permettra désormais de rouler tranquillement sur ce lit d'autoroute d'El-Eulma jusqu'à Bordj Bou-Arréridj.” Sétif est aussi bénéficiaire de deux beaux projets, deux lycées et deux collèges, à construire bientôt. Alors, naturellement, on pourrait le comprendre : les choix stratégiques de M. le président de la république commencent à porter leurs fruits. Avec le concours extraordinaire de son frère-conseiller et de l'administration, M. Bouteflika s'en ira briguer un second mandat avec de bons espoirs de succès. A cela, sans doute, une certitude : les Algériens, qui verront encore leur Président à la télévision davantage que durant ses quatre dernières années, découvriront vite que la campagne bat déjà son plein. La présidentielle est en ligne de mire. L. B.