Ce festival rassemble écrivains, poètes, chanteurs, journalistes, musiciens et penseurs des quatre coins du monde. Mais le point d'orgue de cette rencontre internationale est bel et bien le printemps arabe. Les rencontres politiques ou littéraires sur le monde arabe, indissociables en réalité depuis que le printemps des révoltes a commencé en 2011, semblent suivre la courbe descendante et désenchante des résultats fragiles engendrés. L'euphorie s'était emparée des capitales européennes en même temps que la rue arabe grondait et réclamait le changement. Au fil des mois, leurs thématiques fluctuaient de plus en plus dans le registre de l'incertitude, des doutes et des interrogations. Le Festival littéraire des nuits d'hiver (Winternachten Festival), qui se tient annuellement à La Haye (Pays-Bas), illustre cette tendance à la baisse de l'optimisme et des grandes espérances. En ce mois de janvier, bien que le festival rassemble écrivains, poètes, chanteurs, journalistes, musiciens et penseurs des quatre coins du monde, le point d'orgue de la rencontre internationale est bel et bien le printemps arabe et surtout la crainte de ses vieux démons que des écrivains et bloggeurs de la région vont faire ressurgir ou tenter de conjurer. L'écrivaine libanaise Hanan al-Shaykh donnera le coup d'envoi aux débats avec une conférence sur la notion de “Honte dans le monde arabe, la honte dans la culture et la littérature". Née dans une famille chiite de Beyrouth, Hanan al-Shaykh dépeint avec un réalisme graphique la société de son pays, l'histoire de sa famille et ses vicissitudes intimes. Sa notoriété internationale s'affirma avec “Hikayat Zahra", roman rejeté par les éditeurs et interdit dans plusieurs pays arabes. Toute sa vie presque, elle a eu une attitude de ressentiment envers sa mère Kamila qui l'a abandonnée à un âge précoce et dont elle a décrit le caractère rebelle et indépendant, opposé à la société patriarcale, dans le roman “Histoire de ma mère", sur l'échec conjugal, c'est la survie et l'amour dans une société traditionnelle et patriarcale. “C'est ma mère, dit Hanan al-Shaykh vers la fin du livre, qui a écrit ce livre. C'est elle qui a déployé ses ailes. J'ai simplement agi comme le vent qui l'a porté dans un long voyage dans le passé." Les démons du printemps arabe hypothèquent l'avenir des sociétés en question, le risque de revivre l'expérience du parti unique, d'assister impuissant à la montée de nouveaux dictateurs et au musellement de la liberté d'expression sont autant de motifs d'inquiétude qui tardent à se dissiper depuis janvier 2011. Parmi les autres invités au “Winternachten Festival" figure la journaliste et écrivaine syrienne Samar Yazbek, elle recevra le Prix Oxfam/Novib, attribué chaque année aux écrivains et journalistes persécutés dans leur pays. Les co-lauréats du Prix sont Enoh Meyomesse (Cameroun), Nargess Mohammadi (Iran), Deo Namunjimbo (Congo) et Bupra Ersanly (Turquie). Samar Yazbek a été témoin de la violence brutale contre les manifestants aux premières heures de l'exigence du changement en Syrie. Elle les a relatés dans des récits publiés et finit par prendre part aux manifestations. Elle a rencontré des prisonniers, raconta leur calvaire, donnant ainsi un visage et une voix au soulèvement dont la finalité est de mettre fin à quarante années de dictature. Samar Yazbek fuit la Syrie, craignant pour sa vie.Un second moment de débats, corollaire intentionnel du thème de la honte ou question essentielle de littérature, bifurquera sur “la censure versus l'autocensure", terrain miné où la liberté de création des écrivains se cherche des issues au travers de tout type de société, tolérante, permissive ou oppressante et sans respect des droits humains. C'est toute la question de la définition et de la représentation de soi, de sa société, de sa culture et de sa civilisation dans la littérature qui est posée. Dans quelle mesure un écrivain peut-il prétendre parler au nom d'un ensemble dont il est membre, et a-t-il le droit de parler en son nom ? La littérature est après tout l'exaltation d'une conscience individuelle ! M. M.