Il s'agit du poste militaire de Kaâricha située près d'Ouled El-Mabane. Un grand cantonnement y a été érigé, au printemps 1959, par l'armée française, au terme de l'opération “Courroie", du plan Challe en Wilaya IV. Nous sommes étonnés par le choix du site, dans un lieu boisé et de surcroît à l'intérieur d'un triangle considéré jusque-là comme un territoire sous contrôle total de l'ALN et un de ses bastions. Il est vrai que l'armée française a “dénudé" la butte occupée par le poste. Mais l'installation à cet endroit d'un cantonnement n'est pas fortuite. Elle dénote la volonté de l'armée française de marquer sa présence dans un fief de l'ALN. Nous apprenons par les responsables du secteur que le poste est sous la couverture de l'artillerie des “Trois Marabouts" (Sidi Salah), garnison située plus au nord, sur la route Orléansville-Molière. Les pièces de canons et de mortiers sont pointées sur tout l'alentour du poste, et l'armée française procède régulièrement – généralement de nuit – à un pilonnage systématique, dissuasif, qui dure longtemps afin de faire échec à toute approche du poste. La veille de l'attaque que nous avons décidé de lancer contre ce poste, nous progressons vers l'objectif et occupons deux crêtes boisées qui dominent le cantonnement. Durant toute la journée, nous surveillons les mouvements des soldats. Auparavant, nous avons demandé au responsable de la logistique de nous remettre un grosse mitrailleuse, une 12/7. Nous avions récupéré cette arme lors de l'embuscade tendue par le Commando Djamal, en mars 1957, sur la route de Marbot (Tarik Ibn Ziad). Depuis, nous n'avions utilisé cette arme qu'une seule fois. C'était lors de l'attaque du centre de Bou Caïd, opération menée durant l'été 1957, conjointement par deux katibas menées par les commandants Si Mohamed (Wilaya IV) et Si Tarik (Wilaya V). La mitrailleuse 12/7 est une arme performante, terrible ; ses cartouches sont capables de percer un blindage. Mais d'un poids de 50 kg environ, elle a l'inconvénient d'être lourde à porter. Depuis sa dernière utilisation, cette mitrailleuse avait été enterrée par le responsable de la logistique qui a le devoir de garder le secret sur “ses trésors", de veiller sur leur entretien et de stocker les munitions. Le jour de l'attaque, vers 17h, nous nous faufilons, discrètement, et prenons position près du poste, à la lisière d'une forêt de pins, très dense. En face de nous, le cantonnement, imposant, encombrait toute la butte. Deux sections du commando chargées de donner l'assaut sont déployées sur une ligne est-ouest, la troisième section est maintenue sur la crête pour couvrir notre repli. C'est la 12/7 qui doit ouvrir le feu et donner le signal de l'attaque. Je suis positionné au milieu du dispositif, près du tireur. Nous ouvrons le feu et soumettons le poste à un tir intensif, incessant. Trois fusils-mitrailleurs, une mitrailleuse lourde, plus de soixante armes automatiques et des fusils tirent en même temps. Cela dure deux ou trois minutes. Aucun soldat n'ose sortir. Il y eut, sans aucun doute, de nombreux morts à l'issue de ce mitraillage. L'assaut est proche. Soudain une grande explosion. Une grosse fumée nous enveloppe. C'est sûrement un obus de mortier qui a failli nous toucher, avons-nous pensé sur le coup. Mais il n'y a qu'une seule explosion et cela nous intrigue. Puis nous nous rendons à l'évidence : la mitrailleuse n'a plus de culasse. A sa place, un trou béant. La culasse avait volé en éclats et ses débris auraient pu nous atteindre. C'était donc une balle minée logée dans la bande. Nous ordonnons le repli. Le tireur et moi-même éprouvons des difficultés à ouvrir les yeux ; nous ne supportons pas la lumière du jour. Nos compagnons nous aident à marcher. Il faut quitter les lieux et d'éloigner au plus vite. L'artillerie des “Trois Marabouts" tonne. Une pluie d'obus tombe çà et là. De nombreux projectiles atteignent le poste même. Ont-ils pensé que nous avions envahi le cantonnement ? La troisième section du commando, gardée en couverture, nous rejoint. Les obus de mortiers continuent de pleuvoir sur un large secteur, aux alentours de Kâaricha. Ils ne nous atteignent pas. Il faut s'éloigner très vite de l'endroit. Au bout de quelques heures de marche, nous arrivons à notre merkez, à la bocca Larebâa. Le fâcheux incident nous a privés d'un succès certain. Les responsables de la logistique se sont fait avoir. Pourtant, des directives claires recommandaient aux djounoud et aux responsables de faire vérifier, par l'artificier, les munitions récupérées ou ramassées, suite à plusieurs accidents dont ont été victimes des djounoud : des fusils ont éclaté au moment du tir, blessant nombre d'entre eux au visage. L'ennemi nous faisait parvenir, par différents contacts, des munitions et des balles minées. Les soldats ennemis feignaient aussi perdre des balles lors de leurs sorties en opération, alors qu'ils les avaient jetées volontairement sur les chemins fréquentés par l'ALN. Ces balles étaient ramassées par les civils qui étaient heureux lorsqu'ils les remettaient à nos djounoud. Pour ce qui nous concerne, la balle minée qui a rendu hors d'usage notre précieuse mitrailleuse a dû être stockée avec l'arme, bien avant la diffusion de la directive prescrivant la vérification minutieuse des armes et munitions récupérées. Une autre instruction recommandait de ne pas déplacer le corps d'un mort, djoundi ou civil, sans prendre une précaution d'usage : tirer le cadavre à l'aide d'une corde nouée à son pied, tout en se maintenant, à plat ventre, à une dizaine de mètres du corps inerte. L'expérience a montré que l'armée française plaçait souvent une mine sous les cadavres après ses exactions. L'ennemi utilisait tous les moyens pour nous atteindre. Il ne répugnait rien. La fin justifiait les moyens. C'était sa sale guerre. O R